Rhythm 'n' Blues |
Pour méconnu qu’il demeure encore du grand public, Johnny Nicholas n’en est pas pour autant un perdreau de l’année. Né en 1948 dans le minuscule État de Rhode Island, il y fonda son premier groupe (les Vikings) alors qu’il entrait à peine au lycée. L’époque était alors à ces historiques garage bands, dont le répertoire consistait essentiellement en covers de hits rhythm n’ blues en vogue, ainsi que de ceux de la british invasion. C’est au mitan des sixties qu’il forma ensuite le Black Cat Blues Band avec de jeunes musiciens du cru (au rang desquels figuraient Duke Robillard et Fran Christina, tous deux futurs Roomful Of Blues, puis Fabulous Thunderbirds), avant de passer aux choses sérieuses, en se produisant en 1970 lors du célèbre Ann Arbor Blues Festival, au sein des à peine moins éphémères Boogie Brothers. Sur le conseil de Commander Cody & His Lost Planet Airmen, ce combo s’établit un temps à San Francisco, pour écumer tout ce que la baie comptait alors de rades à matelots, ouvriers métallos et étudiants en goguette. Johnny décida alors qu’il était temps de se frotter à la real thing, et c’est ainsi qu’on le retrouva dès 1974 à Chicago, aux côtés de pointures tels que Big Walter Horton, Roosevelt Sykes, Johnny Shines et Robert Jr Lockwood. Après y avoir enregistré son premier single solo pour Blind Pig (“Too Many Bad Habits”), il revint au pays (à Providence) pour y former son propre backing band, les Rhythm Rockers, qui comprenaient alors (excusez du peu) Ronnie Earl aux six cordes, Sarah Brown à la basse et Kaz Kazanoff au saxophone. Quatre ans plus tard, il fut recruté à son tour par le vaisseau-amiral du western-swing, Asleep At The Wheel (qui n’employèrent pas moins d’une soixantaine de musiciens en quatre décennies !), avec lesquels il tourna et enregistra jusqu’en 1980, date à laquelle il décida subitement de marquer une pause. Johnny Nicholas se maria, procréa trois lardons, et s’établit non loin de Fredericksburg, au Texas, où il gère de nos jours encore un restaurant routier avec son épouse. Ceci ne l’a toutefois pas empêché de revendiquer sporadiquement sa carrière de musicien, puisqu’il a encore enregistré depuis un album studio et une poigné de lives, ainsi qu’un LP en compagnie de Johnny Shines et Snooky Prior (“Back To The Country” en 1991). Cette nouvelle livraison (enregistrée à l’aube de sa septième décennie) le ramène sur des terres qu’il a bien connues il y a un demi-siècle: le Sud-Ouest de la Louisiane, dans les environs de Basile. Soit en plein pays acadien, où il avait noué des liens avec des figures locales telles que Nathan Abshire, Link Davis Jr ou encore Dewey Balfa (pour découvrir ces lascars, nous vous recommandons l’anthologie “Les Haricots Sont Pas Salés”, parue au milieu des seventies chez Chant Du Monde). C’est en hommage à ces prolos des musiques du terroir qu’il est revenu non loin des lieux de ses crimes originels, à Eunice, où un certain Joel Savoy tient un modeste studio d’enregistrement, forcément vintage à souhait. C’est de là que Johnny nous adresse à présent cette carte postale, dont tous les parfums renvoient à ce que notre monde connaît (ou du moins imagine) du swamp, ces effluves des marécages qui firent tant fantasmer Creedence depuis son El Cerrito natal). Si l’enlevé et savoureux “She Stole My Mojo” introductif n’aurait pas déparé le répertoire du regretté Coco Robicheaux, avec l’apport du clavinet d’Eric Adcock, le placide “Mule & The Devil” rappelle ces vignettes tout autant empreintes de superstitions dont Tony Joe White nous gratifia sa vie durant. Le bluesy cajun “Spark To A Flame” évoque la facture d’un autre géant disparu, J.J. Cale, tandis que sur un second-line rumba beat tout aussi caractéristique, Johnny Nicholas s’installe au piano pour la plage titulaire, dans la veine bénie du triumvirat Earl Hooker, Dr. John et Professor Longhair. Il y applique le précepte qu’énonça un jour Johnny Dowd: quelle que soit la musique que vous interprétez, elle sonnera toujours mieux si vous y ajoutez un tambourin! Proche des splendeurs acoustiques dont Elliott Murphy régale ses auditoires depuis bientôt un demi-siècle, le sensible “Guadalupe’s Prayer” précède un “I Wanna Be Tour Baby” typique de ces rengaines paresseusement sensuelles dont Jimmy Reed et Slim Harpo firent leus choux gras. Le solo de guitare qu’y prend Johnny est un modèle d’efficacité concise et rusée, tandis que de retour aux ivoires, il martèle ensuite un “Tight Pants” aussi frénétique que ce que défouraillaient de joyeux drilles tels que Little Richard et Huey ‘Piano’ Smith au mitan du siècle dernier. Avec son accordéon languide, le nostalgique “She Didn’t Think Of Me That Way” rappelle ce dont Doug Sahm, Freddie Fender et Flaco Jimenez furent capables dans ce registre que l’on qualifiait de Tex-Mex. Entre rockab’ et honky-tonk (avec ses chœurs doo-wop à la manière des Jordanaires), “Highway 190” sonne pour sa part comme un outtake de Jerry Lee Lewis dans les sixties, tandis que le sentimental “River Runs Deep” de Steven Bruton ferme le ban sur le mode country (avec slide et orgue churchy ad-hoc). Avec son lot de pattes de poulets, ju-jus et autres colifichets, voici donc un album qui fleure bon son retour au bayou!
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, September 20th 2020
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