JOHNNY CASH – The Indispensable 1954-1961

Frémeaux & Associés / Socadisc
Country
JOHNNY CASH

Phénomène aussi universel que difficilement saisissable dans toutes ses acceptions hors des U.S.A., le regretté Johnny Cash connut une trajectoire singulière (et bénéficia d’une aura et d’une reconnaissance “bigger than life”). Issu d’un milieu extrêmement démuni (modestes métayers, ses parents figurèrent parmi la multitude des victimes socio-économique de la Grande Dépression des années 30, que dépeignit Steinbeck dans ses “Raisns de la Colère”), J.R. Cash était le quatrième d’une fratrie de sept enfants. Aussi pieuse que rigoriste, sa famille ne manquait jamais l’office dominical de la South Baptist Church à Dyess (comté du Mississippi, Arkansas, 410 âmes au dernier recensement), où elle s’était établie pour subsister de la cueillette du coton. Leur mère chantait le gospel en s’accompagnant à la guitare, et Roy, l’un des frères de Johnny, bricolait au sein d’un rudimentaire hillbilly band. À l’époque, l’événement hebdomadaire était le High Noon Roundup, un radio-show extrêmement populaire en milieu rural. Voici donc réunis, dès sa plus tendre enfance, les éléments qui façonneront le destin, l’art et la carrière de cette future icône américaine. En 72 titres, Bruno Blum dresse un panorama significatif du registre de Cash à ses tout débuts. Les 31 premières plages proviennent de sa période fondatrice au sein de la légendaire écurie Sun, où débuta la même année que lui un gommeux prénommé Elvis Aaron, dont l’ascension compta bientôt parmi les plus fulgurantes d’un show-biz encore confit dans les rengaines pour thés dansants. Avec le recul historique, il est cependant aisé de discerner que, bien que venant communément du même substrat social et culturel, ces deux petits Blancs sudistes n’appartenaient pas vraiment à la même catégorie. Ou plutôt, s’ils en partageaient l’héritage commun, ils avaient chacun sa propre façon de l’exploiter. Le dosage détonant entre rhythm n’ blues noir et plouquerie hillbilly était beaucoup plus équilibré chez Presley que chez Cash. Fidèle à ses racines gospel et country, ce dernier donna certes un temps le change, avec ses cols relevés et ses cheveux gominés, mais à la réécoute, il n’interprétait dès ses premières faces encore que cela, tandis que son camarade d’écurie en dynamitait les codes avec une effronterie empruntée à des black entertainers comme Roy Brown ou Wynonie Harris. En dépit d’un esprit rétif qui n’en pouvait pas moins prendre des formes radicales, Cash ne se départit en aucune occasion d’une certaine réserve scénique. Ancré dans la tradition folk, bluegrass et country de son Sud natal, Johnny empruntait certes beaucoup moins au répertoire colored, mais il ajoutait à son arc une corde à laquelle Elvis n’accéda pour sa part jamais: le songwriting. Même si son lapidaire “You’re My Baby” initial (présenté ici en ouverture du CD1) devait beaucoup au “Midnight Shift” de E. B. Lee et Jimmie Ainsworth qu’allait populariser ensuite Buddy Holly (sous la pression d‘un Sam Phillips qui ne jurait alors que par le rockabilly, quasiment né dans son arrière-boutique), c’est bien à un auteur-compositeur interprète (espèce rare en ces temps reculés) que l’on a d’emblée affaire. 18 des premières faces Sun ici regroupées sont de sa plume (et non des moindres: “Cry, Cry, Cry”, “Hey, Porter”, “So Doggone Lonesome” et déjà les inénarrables “Folsom Prison Blues”, “I Walk The Line” et “Get Rhythm”). Dès l’année suivante, il élargit son champ lexical, et commence à élaborer la galerie de portraits, de harangues et de paraboles (“Luther Played The Boogie”, “Next in Line”, “Home Of The Blues”, “The Wreck Of The Old ‘97”) qui l‘installeront parmi les plus éloquents poètes populaires américains. Anxieux et encore peu sûr de son talent (pourtant manifeste), Cash s’épuisera dans des tournées incessantes (il enchaînera 290 galas en 1960!). Se raccrochant à l’alcool et aux amphétamines pour assurer pareille cadence, il s’abandonnera dès lors souvent dans d’autres bras que ceux de sa légitime, et de crises de manque en accès de démence, son mariage se délitera. C’est June Carter (de la fameuse Carter family, et de trois ans son aînée) qui l’aidera à surmonter ces démons, mais cet Angel Of The Morning n’interviendra qu’un an après les derniers titres présents sur cette anthologie, en co-signant avec Merle Kilgore le plus grand hit de Johnny, “Ring Of Fire”. En trois CDs soigneusement mastérisés, et avec les annotations toujours érudites et pertinentes de Bruno Blum, voici donc la genèse d’une légende. Rien d’étonnant à ce que Dylan en personne le reconnût pour un de ses pairs: le Québec avait Félix Leclerc, la France Georges Brassens, et les States Johnny Cash!

Patrick Dallongeville

Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, June 8th 2021

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