JOHNNIE JOHNSON – I’m Just Johnnie

Missouri Morning Records
Blues
JOHNNIE JOHNSON - I'm Just Johnnie

Disparu il y a vingt ans déjà (le 13 avril 2005), le pianiste émérite Johnnie Johnson ne connut la réelle consécration que bien des années après avoir contribué, dans l’ombre de son patron Chuck Berry, à l’avènement et au succès de ce dernier. C’est en effet lui qui officiait aux ivoires sur les versions originales des notoires “Maybellene”, “Roll Over Beethoven”, “Brown-Eyed Handsome Man”, “School Days”, “Almost Grown”, “Back In The USA”, “Carol”, “Wee We Hours”, “Too Much Monkey Business”, “No Particular Place To Go” et autres “Johnny B. Goode” (dont Berry prétendait l’avoir écrit en son honneur, sans jamais lui créditer pour autant le co-writing d’aucun de ces titres). Il lui fallut en fait attendre plus de trente ans pour que justice lui soit enfin rendue (du moins sur le plan artistique, car avec Daddy Chuck, les royalties furent de tout temps une notion éminemment personnelle), à l’occasion du tournage du film de Taylor Hackford, “Hail, Hail, Rock n’ Roll”. Entouré de stars telles que Keith Richards, Etta James, Chuck Leavell, Joe Walsh, Linda Ronstadt, Robert Cray, Bobby Keys et Steve Jordan, Johnnie y brillait à son piano, recouvrant et révélant ainsi au grand jour la place centrale et historique qui lui revient dans la genèse du rock n’ roll. Alors qu’il en avait été réduit au milieu des années 70 à prendre un day-job pour subsister (en tant que chauffeur de bus dans sa bonne ville de Saint-Louis), il put dès lors renouer avec une tardive carrière de musicien professionnel, se produisant de par le monde et enregistrant jusqu’à huit albums (dont “Johnnie B. Bad” avec Clapton et Richards, et “That’ll Work” avec les Kentucky Headhunters et Jimmy Hall), jusqu’à se trouver même intronisé en 2001 au Rock n’ Roll Hall Of Fame (dans la catégorie sidemen)… Ami de longue date avec le producteur local Gene Ackmann (à ne pas confondre avec l’acteur Gene Hackman récemment disparu), Johnnie se tourna vers celui-ci quand, à l’approche de ses 80 ans, il envisageait un album choral avec quelques invités célèbres. Johnson et Ackmann (lui aussi pianiste) s’assignèrent alors de régulières séances de co-writing, tandis que ce dernier s’activait à recruter des contributeurs. Le premier à se manifester fut le vétéran Johnny Rivers (connu, outre son hommage à John Lee Hooker, pour sa propre version de “Memphis, Tennessee” à la fin des sixties), bientôt suivi de John Sebastian (ex-Lovin’ Spoonful), Bruce Hornsby et Bonnie Raitt. S’ouvrant sur le shuffle-jump titulaire (où il est backé par sa fidèle section rythmique habituelle, le bassiste Gus Thornton et le batteur Kenny Rice, tous deux ex-accompagnateurs d’Albert King, ainsi que par le saxophoniste Ray Vollmar et le guitariste Tony T), cet ultime témoignage de Johnnie en studio se poursuit avec le mid-tempo blues “I Get Weary”, qu’il co-signe avec Gene et le bassiste Dickie Steltenpohl. On y reconnaît à la guitare Max Baker, ainsi qu’à l’orgue Hammond Paul Willett et aux backing vocals Pat Liston (tous membres de Mama’s Pride, formation quinquagénaire de Saint-Louis), tandis que le lead vocal y est assuré par un autre autochtone, Charles Glenn (chanteur officiel du “St. Louis Hockey Blues”, hymne de l’équipe locale de hockey dont Johnnie était supporter). L’association orgue-piano (dont des formations telles que le Band, Procol Harum et Spooky Tooth se firent en leur temps les hérauts) s’y révèle jubilatoire. Bruce Hornsby et Bonnie Raitt font leur entrée sur le standard “Everyday I Have The Blues” que signa Memphis Slim (respectivement au chant et à la guitare slide, qui prodigue de ces choruses mirifiques ayant établi la réputation de la Miss). C’est aussi l’occasion de mesurer à quel point les phalanges de notre vétéran sont demeurées agiles jusqu’à son dernier souffle. Signé Johnny Rivers, le funky “Lo Down” que chante Henry Lawrence (triple champion du Super Bowl au sein des Oakland Raiders) permet à Johnnie de confirmer qu’il n’ignorait rien non plus du style louisianais. C’est une pleine section de cuivres qui propulse ensuite le “Let The Good Times Roll” que popularisèrent Louis Jordan et Ray Charles. Chanté par le batteur Kenny Rice (soutenu par sept choristes), on y retrouve avec plaisir le rugissement du bottleneck d’acier de Raitt, ainsi bien entendu que le piano alerte de cet éternel jeune homme que demeura Johnnie jusqu’au bout. Ce dernier reprend le micro pour l’imparable et malicieux “Three Handed Woman” (issu du répertoire du même Louis Jordan), illuminé par trois superbes soli des six cordes de Tony T (dans la veine de T-Bone Walker), tandis que le chorus de piano s’y montre digne de la virtuosité des non moins regrettés Charles Brown et Nat King Cole:  assurément l’une des pièces majeures de ce recueil! Les cuivres persistent à tenir leur rang au fil de l’up-tempo “Broke The Bank”, où notre Johnnie nous gratifie d’une joyeuse démonstration de stride, avant de céder le pas à l’harmonica de John Sebastian et à la guitare de Tom Maloney: on s’y croirait revenu au temps béni d’Eddie Vinson et des frères Liggins! L’instrumental “Blues In G” est surtout prétexte à démontrer une bonne part de l’héritage que perpétuait Johnnie en la matière: de Roosevelt Sykes à Jay McShann (en passant par Otis Spann et Pinetop Perkins), le comité d’accueil a du être bondé quand il les a rejoints au paradis des barrelhouses. Henry Lawrence reprend du service pour une reprise du standard “Stagger Lee ” (qui traitait du meurtre que commit en 1895 un souteneur de Saint-Louis du nom de Lee Shelton, sur la personne d’un certain Billy Lyons), avant que Johnnie n’interprète son propre “Johnny Johnson Blues”, seconde composition offerte par Johnny Rivers (qui l’y accompagne à la guitare, comme sur la précédente), pour s’achever sur une variante instrumentale du fameux “Saint-Louis Blues” de W.C. Handy. Différent du titre homonyme composé par Louis Armstrong (et repris par Little Richard), “Heebie Jeebies” n’en est pas moins un second line mambo typique de la Nouvelle-Orléans, dans la veine de Professor Longhair et James Booker, au fil duquel Johnnie confirme une fois de plus sa parfaite imprégnation de ce style exubérant. L’instrumental “Long Gone” (dont Sonny Thompson et Lewis Simpkins tirèrent un hit en 1948) ferme le ban en beauté. Ce CD musical se complète d’un second volet regroupant plusieurs interviews (outre Johnnie himself, Bonnie Raitt s’y exprime également). Bel hommage posthume à l’un des stalwarts les plus humbles (et néanmoins séminaux) du blues et du rock n’ roll des origines, voici  un coffret qui ravira tout amateur de ces deux genres largement consanguins.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co

PARIS-MOVE, August 2nd 2025

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