JOHN LEE HOOKER & THE COAST TO COAST BLUES BAND

Live At Montreux 1983 & 1990 // Eagle / Universal
Blues, Boogie
John Lee Hooker

Même si la légende a toujours eu meilleure presse que la réalité (du moins selon ce brave John Ford), tout blues aficionado un tant soit peu averti le sait bien: il y eut au moins deux John Lee Hooker. Le premier, né l’année de la révolution bolchévique à Clarksdale, Mississippi, dut attendre d’avoir passé la trentaine avant de remporter son tout premier succès (“Boogie Chillen”, enregistré à Detroit en 48). Il n’en revenait toujours pas quand, auréolé du soudain engouement européen pour son “Shake It, Baby”, il foulait en 1962 la scène de l’Olympia parisien en bégayant. Alors déjà âgé de 35 ans, il lui fallut attendre 1970 (quand Canned Heat enregistra avec lui le fameux double album “Hooker n’ Heat”) pour que, désormais quinquagénaire, il puisse enfin engranger le fruit de ce qu’il avait semé trois décennies durant. Fort de ces “Boom Boom” et “Serves You Right To Suffer” dont il avait fertilisé les carrières respectives d’Eric Burdon et du J. Geils Band (sans parler de ce dont Canned Heat et ZZ Top avaient su tirer “Refried Boogie” et “La Grange”), notre burné buriné favori put donc enfin rouler carosse à son tour. Fini, les toques à la Brejnev et les tournées précaires en 2CV et 4L: relooké façon pimp (Ray-Bans, feutre blanc, mocassins et costard assortis, qu’on aurait cru chipés à Johnny ‘Guitar’ Watson), le pape du boogie allait dès lors porter beau pour une fin de carrière chromée platine. Cornaqué par Mike Kappus, et tenant audience auprès d’émules aussi dévôts que Carlos Santana, Van Morrison et Bonnie Raitt, Hooker allait figurer en VIP sur nombre de guest-lists, depuis Foghat jusqu’aux Rolling Stones, et ses émoluments atteindre de tels pics qu’il finirait par s’établir sur les hauteurs de Long Beach et Los Altos, en Californie… C’est de cette époque épique que nous parvient à présent ce double vinyle, témoignage de ses deux prestations à sept ans de distance lors du prestigieux festival de Montreux. John Lee Hooker se produisait alors à la tête d’un sérieux gang intitulé le Coast To Coast Blues Band. Constituée du guitariste Michael Osborn, du bassiste Steve Ehrmann, du batteur Tim Richard et de l’ancien claviériste du regretté Freddie King, Deacon Jones, cette turbine à boogie permettait à Hooker de propulser son aura de vénérable parrain vers de nouveaux auditoires. Introduit par le poignant “It Serves me Right To Suffer”, leur set de 1983 inclut des versions revivifiées de classiques tels que “Worried Life Blues”, “I’m Jealous”, “Boom Boom” ainsi que le classique de Tommy Tucker, “Hi-Heel Sneakers”, avant que Luther Allison et Sugar Blue (flanqués d’une section de cuivres) ne se joignent à la bacchanale pour une version enfiévrée de “Crawling King Snake”, précédant un “Boogie Chillen” cathartique de 17 minutes. Sept ans plus tard, le second LP de ce package, s’il comprend quatre doublons avec son cadet de 1983, augmente son line-up d’un guitariste et d’un saxophoniste supplémentaires, ainsi que de la sémillante vocaliste Vala Cupp (qui devait hélas mettre fin à ses jours, à peine âgée de 51 ans, en 2005). Incluant cette fois d’autres perles de son répertoire telles que “I’m In The Mood”, “Baby Lee” et “The Healer” (mis en boîte l’année précédente avec Santana), cette seconde galette s’avère l’indispensable complément de la première. Si James Brown (ex-cireur de godasses et délinquant juvénile) nous quitta un lendemain de réveillon, John Lee eut quant à lui l’élégance de le faire le jour de notre fête de la musique. Il est des coïncidences qui ne trompent pas: boogie chillen, in excelsis Deo.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, November 22nd 2020