Folk, Soul

“On m’a dit que mes rêves ne paieraient pas mes factures. Au lieu de changer de rêves, j’ai préféré changer de factures”. Quiconque s’avère capable de ce genre d’aphorisme a intérêt à s’en montrer à la hauteur. C’est effectivement le cas pour l’insoumis John Craigie, dont le “Hustle” d’ouverture illustre brillamment la verve iconoclaste. Natif de L.A. (mais relocalisé de longue date au sein de la scène bohème de Portland, Oregon), ce fils d’un général de l’U.S. Air Force aligne, avant même son quarantième anniversaire (qu’il ne fêtera que la semaine prochaine), quatorze albums studios, ainsi que trois live (et deux LPs de covers). Dans la veine funky folk que pratiquait Arlo Guthrie voici un demi-siècle, le bonhomme s’est acquis une solide cohorte de fans enthousiastes, au rang desquels figurent Todd Snider, Jack Johnson, Shawn Colvin et James McMurtry (des artistes pourtant pas si aisés à épater). S’il reprend ici avec goût le nonchalant “Crazy Mama” de J.J. Cale, ses arrangements de titres tels que “Climb Up”, “Part Wolf” ou “Don’t Ask” évoquent également le complice historique de l’ermite de Tulsa, le grand Leon Russell. Ceux de “Don’t Deny”, “Son Of A Man” et “Nomads” n’auraient quant à eux pas déparé ceux du “Highway 61 Revisited” de qui-vous-savez, avec cette énergétique combinaison orgue-piano-guitare acoustique & drums, tandis que le climat crépusculaire qui baigne “Vallecito” reflète les angoisses que suscitent les choix vitaux induits par l’existence. Enregistré dans sa Californie natale avec le concours bienveillant d’un aréopage de musiciens locaux, un album au parfum intemporel, nimbé d’un humour acerbe, d’anticonformisme et d’une lumineuse conscience sociale. Comme le rappelle à point nommé notre actualité, certaines idées refusent de mourir: elles n’acquièrent au contraire qu’une urgence et une acuité supérieures.

Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, June 8th 2020

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