Musique classique |
Lorsque John Cale débarque à Los Angeles en provenance de New York au début des années 70, il se trouve un peu à la dérive: il a alors quitté le Velvet Underground depuis deux ans, a divorcé de la créatrice de mode Betsey Johnson, et n’est plus considéré comme une figure clé de la scène new-yorkaise. Plus fondamental encore, il vient de se libérer aussi de sa dépendance à l’héroïne. En Californie, il s’est plongé dans une nouvelle relation chaotique, tout en débutant une nouvelle carrière dans l’industrie musicale, et ayant découvert sa nouvelle drogue de prédilection: la cocaïne. Il ne fut toutefois jamais réellement satisfait de son premier album solo, “Vintage Violence”, sorti début 1970, “Sur Vintage Violence, je portais un masque”, écrira-t-il plus tard. “On n’y voit pas vraiment ma personnalité”. C’est surtout dans ses deux albums suivants (les seuls publiés chez Reprise) que son esprit curieux et polyvalent commence à s’affirmer. D’abord en 1972, avec “The Academy in Peril”, une incursion audacieuse et avant-gardiste dans la musique classique. Essentiellement instrumental, celle-ci s’inscrit à la fois en rupture, mais aussi dans le prolongement de son “Church Of Anthrax”, réalisé avec Terry Riley l’année précédente. Des plages assumant parfois la provocation jusqu’au grotesque (“The Philosopher” – avec Ron Wood à la slide – “Legs Larry At Television Centre”, ou encore le steel drums calypso “King Harry” chuchoté par Adam Miller) y côtoient en effet des pièces néo-romantiques classiques (“Brahms” en piano solo, ainsi que la majestueuse plage titulaire, d’un minimalisme assumé à la Satie) et folk baroque (l’anecdotique “Days Of Steam”). La longue suite “3 Orchestral Pieces” bénéficie même de l’apport déterminant du Royal Philarmonic Orchestra, de même que le conclusif “John Milton” (quasiment de la même durée). En rééditant simultanément cet album et son successeur (l’unanimement célébré “Paris 1919”), Domino, le label de Cale depuis plus de dix ans, met en exergue l’audace créative dont ce dernier faisait preuve à l’aube de ses trente ans.
“Revisiter le travail passé est pour moi une épée à double tranchant. Bien sûr, c’est inévitable après environ soixante ans de carrière musicale… Ce qui rend cette démarche avec Domino si particulière, c’est leur volonté de bien faire les choses. Il ne s’agit pas de simplement rééditer un album pour marquer un anniversaire ou compiler les succès de mon catalogue, mais plutôt de découvrir de nouveaux trésors et de souligner ce qui rendait ces albums spéciaux dès leur création. En écoutant les test pressings, j’ai réalisé qu’au lieu de simplement les préserver, ce nouveau mastering joue un rôle clé dans la manière dont ces œuvres sont présentées. J’ai revécu des moments de clarté, et même partagé quelques éclats de rire, en revisitant non seulement la musique, mais aussi en me remémorant les sessions (et les pitreries) qui ont donné vie à ces deux enregistrements. C’est avec plaisir que je vous les propose… à nouveau” — John Cale, septembre 2024.
En bonus, cette réédition propose un titre à l’origine écarté (mais issu des mêmes sessions): “Temper”, exercice pianistique à la Jean-Sébastien Bach. Alors qu’à la même époque, des formations aussi diverses que Deep Purple, ELP, Yes et Procol Harum tentaient un peu vainement de marier rock et musique classique, John Cale se démarquait de ces demi-mesures en revendiquant crânement son bagage vernaculaire en la matière. Oh, et puis, la pochette est signée Andy Warhol, mais elle ne rend évidemment tout son éclat qu’au format 33 tours d’époque!
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, November 8th 2024
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