JOHN CALE – POPtical Illusion

Double Six / Domino
Electro-Rock
JOHN CALE - POPtical Illusion

Selon l’esprit facétieux du surréalisme, John Cale (dont l’humour grinçant n’affleure que rarement au grand jour) ne répugne jamais à quelque jeu de mots plus ou moins abscons. Ainsi du titre de son EP de 2003, “HoboSapiens”, auquel fait écho celui-ci (son 18ème en plus d’un demi-siècle de carrière solo). À 82 ans passés, cet éternel iconoclaste ne semble toujours pas prêt à se reposer sur ses lauriers, en dépit des honneurs et hommages qui se multiplient à son endroit depuis quelques décennies. Ce parangon d’une rigoureuse esthétique expérimentale (que l’on assimila longtemps à une certaine avant-garde) n’entend pas se laisser statufier vivant, et persiste en conséquence à se jouer des codes selon l’approche empirique qui le guide depuis ses débuts. Sans œillères ni à priori, Cale continue donc à associer intellectualisme et pragmatisme, selon un processus exploratoire s’assimilant manifestement toujours à une démarche d’essai-erreur. Il peut y laisser libre cours à ses penchants morbides, comme sur son “Mercy” de l’an dernier, ou encore s’y montrer plus lumineux et convivial, comme souvent sur celui-ci. Renvoyant autant au Bowie période berlinoise qu’au “Desertshore” qu’il produisit jadis pour Nico, le sépulcral “God Made Me Do It” d’ouverture le présente seul aux fourneaux (chant “préparé”, synthés, drum-machine, piano, basse), avec pour seule complice la guitare de Dustin Boyer. L’enjoué “Davies & Wales” pourrait presque servir de générique à l’Office de Tourisme du Pays-de-Galles (Davies est le nom de jeune fille de sa défunte mère, et Wales sa propre région natale), tout en prolongeant la même formule instrumentale et vocale (John s’y doublant lui-même aux chœurs). Sans doute l’une de ses tentatives pop les plus assumées à ce jour. Entre XTC et “McCartney II” (quand Paulo découvrait, il y a une quarantaine d’années, le nec plus ultra du home-studio d’alors), le lancinant “I’m Calling” (sur lequel sa co-productrice, Nita Scott, intervient vocalement, avant d’en faire autant aux claviers et à la programmation sur l’ambient “Edge Of Reason”), mais aussi le single “How We See The Light”, l’ensoleillé “All To The Good” et l’éthéré “Setting Fires” comptent parmi ses œuvres les plus sereines. Exécuté par touches saccadées de Hammond B3, l’obsédant “I’m Angry” expose sans fausse pudeur le désarroi de la jalousie amoureuse, et signale l’irruption du versant dark de son auteur, que confirment l’oppressant “Company Commander”, l’angoissant “Funkball The Brewster”, le mortifié “Laughing In My Sleep” et le sarcastique “Shark-Shark” (seul titre abrasif ouvertement réminiscent du Velvet). Concluant ce nouvel épisode par le sépulcral “There Will Be No River” (digne du “Marble Index” qu’il orchestra pour la regrettée Nico), John Davies Cale poursuit donc son chemin. À la fois incapable de se cantonner longtemps au même sillon, tout en ne se départant pas moins d’une éthique immuable. Sans lui, nous n’aurions sans doute connu ni Can, ni Eno, ni Devo, ni David Byrne, ni Andy Partridge, ni Suicide, ni The Fall, ni Laurie Anderson, mais cet ex-enfant molesté, devenu ensuite complice de Terry Riley et LaMonte Young, persiste à se garder de toute pompe et hermétisme (tout comme de danser idiot). Le genre de défi que bien peu d’autres rockers réputés intellectuels pourront se targuer d’avoir su relever si durablement.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co

PARIS-MOVE, August 28th 2024

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