Johanna Linnea Jakobsson – Don’t Overthink It (FR review)

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Jazz
Johanna Linnea Jakobsson - Don’t Overthink It

Johanna Linnea Jakobsson: le fil tranchant d’une génération désenchantée

À une époque saturée de bruit, d’images et de contenus éphémères, alors que tout semble se répéter jusqu’à l’épuisement, Johanna Linnea Jakobsson offre quelque chose de rare: le silence.
Sa musique ne cherche pas à se faire entendre.
Elle respire.
Elle s’attarde.
Elle attend que l’on écoute.

Compositrice, saxophoniste et chanteuse d’origine dano-suédoise, Jakobsson appartient à cette catégorie d’artistes capables d’être à la fois intemporelles et profondément ancrées dans leur époque. Elle élève la forme poétique tout en observant une génération à la dérive, dont les rêves, autrefois portés par la promesse d’un avenir radieux, vacillent désormais sous le souffle froid de l’anxiété mondiale, des fractures politiques et de la fatigue existentielle.

Son art évolue dans un espace poreux entre les genres: la mélancolie feutrée du jazz, l’intimité du folk, et une sensibilité pop fragile qui transporte l’auditeur quelque part entre la rupture et la révélation.
Chez elle, l’émotion se sculpte avec la précision d’une lame de rasoir.

Une artiste entre deux mondes

Johanna Linnea Jakobsson porte en elle la dualité tranquille de ses racines : l’introspection du Nord, la clarté de la lumière scandinave, la solitude des longs hivers.
Je l’ai découverte en 2022, presque par hasard, à travers son premier album, Alone Together. Ce disque, d’une grâce discrète, ressemblait à un journal intime en sons, une tentative de donner sens à l’isolement, au paradoxe d’être à la fois entouré et profondément seul.

En l’écoutant, j’ai compris qu’elle n’était pas seulement une musicienne, mais une chroniqueuse : une artiste qui écrit l’histoire émotionnelle de son temps, traduisant les impressions fugaces en mélodies.
Sa voix, aérienne et pourtant précise, parle avec une honnêteté rare, une voix qui ne domine pas la pièce, mais la transforme.

Jakobsson s’inscrit dans une lignée de chanteuses-poètes, celles qui croient encore que la musique peut contenir une vérité, si fragile soit-elle. Ses chansons donnent voix à une jeunesse souvent étouffée par l’incertitude.
Elle ne prétend pas détenir de réponses, ne moralise jamais.
Elle observe, absorbe, réinvente le chaos du monde alentour, transformant le banal en révélation.

Entre jazz et introspection

En 2023, Jakobsson publie un EP consacré à ses morceaux de jazz préférés, réinterprétés avec une douceur singulière, moins un hommage qu’une réappropriation intime, un dialogue avec la tradition.
La même année, elle compose la bande originale de la série danoise One of the Boys, lauréate d’un Emmy Award. Ce projet, d’une grande exigence émotionnelle, révèle une autre facette de son talent : celle d’une architecte du récit sonore, capable de modeler l’émotion par le ton, mais aussi par le silence.

Son collaborateur sur cette aventure, le batteur et producteur suédois John Fernold, coproduira par la suite son second album, Don’t Overthink It, celui que Jakobsson considère comme sa première véritable déclaration artistique.
Entièrement composé d’œuvres originales, cet album semble taillé dans sa propre incertitude.

Don’t Overthink It: le courage de la vulnérabilité

Il y a quelque chose de profondément courageux dans Don’t Overthink It.
Publier un album entièrement original, c’est se mettre à nu, sans reprises, sans masques, sans mots empruntés.
Jakobsson affronte cette exposition avec une tendresse volontaire, presque sculpturale.
Chaque imperfection devient un choix, chaque hésitation une vérité.

L’album explore ce que signifie trop sentir, trop penser, et malgré tout continuer à créer.
C’est une méditation sur la rumination, sur la manière dont les pensées s’enroulent, se fondent, jusqu’à devenir beauté.

À l’écoute, on pense aux gravures imaginaires de Solombre : paysages mentaux tracés d’un geste fin, froids mais habités de nostalgie.
Les chansons de Jakobsson partagent cette qualité : elles transforment la distance en tendresse, trouvent la poésie dans les interstices du silence.

Le son d’une génération qui pense trop

Certaines musiques demandent à être entendues, celles de Jakobsson réclament d’être regardées.
Ses chansons se déploient comme des tableaux: œuvres de sons et de silences qui appellent la patience.
Son phrasé, la manière dont sa voix se dissout dans l’air, crée des nuances de lumière, comme un éclat sur du verre dépoli.

Ce sont des contes modernes pour un âge urbain, récits d’identités perdues, d’âmes errantes en quête de sens, dans un monde où la vérité elle-même semble mouvante.
Elle écrit pour une génération qui a hérité de plus de questions que de certitudes, une génération qui défile sans fin, mais se sent pourtant invisible.
Sa musique ne console pas: elle reflète, comme un miroir posé délicatement sur nos confusions.

Une voix sans prétention

Jakobsson ne sermonne jamais.
Elle ne dit pas ce qu’il faut penser; elle invite à ressentir.
Sa chanson Too Slow en est un exemple saisissant: un texte suspendu entre la résignation et la défiance, entre l’intime et la distance.

Think all those times
Where I just lie and try to make sense of it all
Wish I could travel back in time
But no one travels back in time.
Yeah I know you’ve been running
And I know what you’ve done
I just don’t know if you got it
Or if you ever did at all.
Even if you think you lost it,
You might just go and get it all.

Ce n’est pas une chanson sur le regret, mais sur l’impossibilité du retour,  une méditation sur le temps, la mémoire, et le mouvement inflexible de la vie.

Plus qu’une artiste: une témoin

Nombre de jeunes musiciennes visent aujourd’hui la poésie; rares sont celles qui l’habitent aussi naturellement que Johanna Linnea Jakobsson.
Sa musique ne s’orne pas, elle se distille.
Elle ne joue pas l’émotion, elle la révèle, couche après couche, jusqu’à ce que ce qui demeure soit à la fois intime et universel.

Dans une époque où tout est filtré, calibré, scénarisé, son authenticité a quelque chose de radical. Elle ne cherche pas à expliquer le monde: elle le reflète, transformant le chaos en quelque chose de provisoirement cohérent.

En somme, Johanna Linnea Jakobsson est une poète qui chante, une journaliste du sentiment, une témoin du désenchantement doux de sa génération.
Sa musique nous rappelle que la vérité existe encore, non comme une proclamation, mais comme une présence.

Et c’est sans doute là que réside la force vitale de son œuvre : elle nous rappelle que l’art, au meilleur de lui-même, n’est pas une fuite hors du monde, mais un miroir tendu vers lui.
Un lieu où, si l’on écoute vraiment, on peut peut-être s’y entendre à nouveau.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, November 7th 2025

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To buy this album

Website

Musicians :
Johanna Linnea Jakobsson | vocals and saxophone
Olof Wullt | electric guitar
Jesse Emmoth | acoustic piano and rhodes piano|
Simon Petersson | double bass
John Fernold | drums and acoustic guitar

Track Listing :
Grow
Time
Work
Too Slow
Out Of Mind
Spring
The Net
Better Off