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Joe Elefante livre un album à la fois profondément ancré dans la tradition et animé d’une vitalité qui paraît tout sauf conventionnelle.
Voilà, en substance, l’esprit d’un disque né d’une vie entière consacrée à la musique, l’œuvre d’un compositeur, pianiste et saxophoniste dont la carrière l’a mené sur quatre continents, dirigeant aussi bien des concerts de jazz que des comédies musicales avec la même maîtrise. Le parcours d’Elefante ressemble à une véritable cartographie de la culture jazz américaine contemporaine : il fonde en 2001 le Joe Elefante Big Band, qui devient l’orchestre résident du très apprécié Cecil’s Jazz Club pendant trois ans, apparaît sur Nightline sur ABC ainsi que dans les colonnes du Wall Street Journal. Nommé «Ambassadeur du jazz» par le Kennedy Center, il effectue des tournées en Europe de l’Est et au Moyen-Orient pour le Département d’État américain. Son langage de compositeur s’affine au prestigieux BMI Jazz Composers Workshop de New York et dans le programme Betty Carter Jazz Ahead du Kennedy Center. Parallèlement à son activité sur scène, Elefante a également dirigé, mis en scène et joué dans de nombreuses productions théâtrales, notamment au Paper Mill Playhouse ainsi que dans Jersey Boys, à Broadway et en tournée nationale.
C’est en 2024, après la disparition de son épouse à la suite d’une longue maladie, qu’Elefante se tourne vers la composition comme refuge et comme renaissance. Le résultat est un album à la fois mystique et porteur d’espérance, qui puise dans des inspirations bouddhistes, celles du dharma, l’énergie qui anime son expression artistique. Il s’agit d’un chapitre de son histoire personnelle traduit en musique, façonné autant par le deuil que par les rencontres marquantes d’une carrière hors norme. Ces influences se reflètent autant dans son écriture et ses arrangements que dans le choix des musiciens: un quintet trié sur le volet, à la hauteur des exigences et de la puissance que requiert sa musique.
Dans le jazz, quand des musiciens chevronnés quittent les rôles d’accompagnateurs pour proposer leurs propres projets, le résultat est souvent solide, mais rarement transcendant. Ce qui distingue ici l’œuvre d’Elefante, c’est une rare unité de vision: la maîtrise délibérée des voix instrumentales, le dialogue entre les solos, l’équilibre entre liberté et structure. L’album refuse l’étiquette de «classique», car son ADN théâtral est indéniable: tel un metteur en scène aguerri, Elefante sculpte chaque passage avec une clarté dramatique, conscient que la musique, comme le théâtre, exige à la fois une compréhension du texte sous-jacent et l’intuition de ce qui sert le mieux l’histoire.
La quête du beau en art est souvent évoquée, mais rarement pratiquée avec autant de rigueur. Elle suppose une conscience égale du fond et de la forme, suivie d’un patient travail de mise en scène. C’est précisément ce qui irrigue l’album d’Elefante. Les mélodies elles-mêmes, bien que marquantes, ne sont pas le cœur de l’œuvre; ce sont plutôt les intentions qui les sous-tendent, la manière dont chaque instrument trouve sa place, la valeur donnée au silence et à l’espace. C’est un disque qui réclame d’être écouté, puis réécouté, chaque écoute en révélant davantage l’architecture cachée.
Tout aussi remarquable est la production, soignée avec une minutie extrême mais jamais figée, rappelant qu’Elefante ne laisse rien au hasard dans son engagement pour le beau. La sincérité éclatante du projet transparaît à chaque instant, rendant cet album capable de toucher des auditeurs au-delà des genres et des frontières. Ce qu’il propose ici n’est pas seulement personnel mais universel : une offrande qui transforme le deuil intime et une vie d’art en quelque chose de profondément, durablement humain.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, August 18th 2025
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Musicians:
Joe Elefante, piano, vocals
Freddie Hendrix, Trumpet and flugelhorn
Erena Terabuko, alto saxophone
Sameer Shankar, bass
David Heilman, drums
Tracklist:
Jazz for Dummies
Mudita
Return of the Light
Cromwell
Ankara Blues
Nobly Born
Don’t Talk (Put Your Head on My Shoulder)
Simple Girl
Loving Kindness
Sore on the Floor
Some Other Blues