JOANNA CONNOR – Best Of Me

Gulf Coast Records
Funk-Blues
JOANNA CONNOR - Best Of Me

Au risque de rabâcher, être une femme dans le monde du blues n’a jamais été une sinécure, et quoi que l’on en dise, c’est toujours le cas de nos jours. Si un caractère bien trempé et une détermination sans faille s’y avèrent indispensables (sans parler de compétences musicales hors compétition), cela suffit rarement pour garantir la pérennité de nos filles et nos compagnes. Aux armes citoyennes, sortez donc vos jupons et marchez, marchez, qu’on vous dévisage et vous envisage, comme les filles que vous n’êtes pas. Il y a celles qui s’y plient, et accommodent de bonne grâce leur dextérité instrumentale d’atours affriolants, à destination des libidineux ne parvenant à écouter la musique qu’avec les yeux (et le reste). Mais qu’elles se soumettent ou non aux canons en vigueur dans ce circuit patriarcal, ce sont des tough mamas: la triple journée et la charge mentale, elles pourraient toutes vous en tartiner des concept-albums… Et malgré son tempérament, Joanna Connor n’échappe pas à la règle, mais bien qu’assumant pleinement sa féminité, elle n’a jamais éprouvé pour autant le besoin d’aguicher pour convaincre. Née à Brooklyn et élevée dans le Massachusetts, elle releva le défi de s’établir à Chicago, ses 17 ans à peine sonnés, un ampli sous le bras et sa guitare à la main. Elle y fit ses classes à la dure auprès des soudards du blues local, dans des clubs où l’on se produisait alors encore pour une bière et un sandwich. Et outre son art, elle y apprit à louvoyer dans ce marigot. Que ce fut dans les backing bands de A.C. Reed, John Littlejohn ou Dion Payton, et du Checkerboard Lounge au Kingston Mines, elle put ainsi recueillir first hand le mojo de légendes telles que Buddy Guy et Junior Wells, avant de se lancer à la tête de son propre groupe. It’s the USA, baby, only the strong survive, mais comme souvent, ce fut l’Europe qui lui tendit d’abord les bras. Thomas Ruf la signa sur son label teuton, et la fit tourner une décennie durant sur notre continent. De retour au pays pour y élever seule ses deux bambins, elle opta ensuite pour MC Records, et une résidence de quatre soirs par semaine au Kingston Mines, en tant que house band. Puis, comme la proverbiale bonne fée, la vidéo de l’une de ses prestations capta l’œil (et surtout l’oreille) d’un certain Joe Bonamassa, qui la signa derechef sur son propre label, Keep The Blues Alive. Porté en 2021 par le succès du film d’Adrian Lynne “Deep Water” (où Joanna effectue une prestation torride), son album “4801 South Indiana Avenue” cartonna comme aucun de ses prédécesseurs auparavant, et c’est sous l’égide commune de Mike Zito et de Bonamassa qu’elle nous revient, plus déterminée que jamais. De Josh Smith à Jason Ricci, Gary Hoey et Eric Demmer (ainsi que les deux précités), les guests s’y bousculent, et dès le funky “House Rules” (et ses pumping horns en éruption), on retrouve avec bonheur le hululement des guitar-licks de Madame, ainsi que son timbre vocal chaleureux. Joanna signe (ou co-signe avec son bassiste Shaun Calloway) dix des onze titres de cette galette. La touche soul blues se prolonge avec “Pain And Pleasure” (dans une veine quasi-santanesque, avec comme pour son prédécesseur les six cordes de Josh Smith pour renfort) et le slow titulaire, dans la ligne sudiste de James Carr, cuivres, claviers et chœurs à l’appui. Sur un country zydeco beat enlevé, “Highway Child” contribue à la longue litanie des chansons de tournée, tandis qu’en slide ou avec les doigts, Joanna y croise le manche avec un Bonamassa aussi exubérant qu’à l’accoutumée. Second slow terrassant, le poignant (et autobiographique) “I Lost You” (que Joanna signe forcément seule) confirme la puissance expressive d’une superbe guitariste, qui se double d’une grande vocaliste. Le funk blues cuivré reprend ses droits pour le sautillant “Two Of A Kind” (au solo risqué), que prolonge le soulful “All I Want Is You” (à la guitare mélodieuse, dans l’esprit d’un Larry Carlton chez Steely Dan ou chez les Crusaders, et qui n’aurait assurément pas déparé le registre tardif de la regrettée Tina Turner). La reprise effrénée du “Mercury Blues ” de Robert Geddins et KC Douglas (qu’adapta également en son temps le Steve Miller Band) est zébrée d’une slide électrique digne du Johnny Winter période “Captured Live”, ainsi que d’un frénétique piano façon Jerry Lee Lewis. Le pop blues “Shadow Lover” reçoit la visite bienveillante de son patron actuel en la personne de Mike Zito, pour une tentative ouvertement radio-friendly, mais l’éruptif “Shine On” (avec un cameo enflammé de l’harmonica ampliifié de Jason Ricci) rachète haut la main cette vénielle concession. En conclusion, ne vous laissez pas abuser : ceci n’est en rien une compilation, ni même sans doute son meilleur album à ce jour… Quoique, à la réflexion (et la réécoute), peut-être bien tout de même que si!

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, June 5th 2023

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