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“As We Are Now” de Jimmy Greene: un album de jazz d’une inventivité lumineuse et d’une profonde humanité.
Il arrive qu’en feuilletant les pochettes de disques de jazz, on s’amuse à imaginer le festival que l’on pourrait organiser rien qu’avec la liste des musiciens. Tant la distribution est prestigieuse, on croirait voir surgir une scène, des lumières, un public. Mais ce n’est pas qu’un fantasme. En écoutant As We Are Now, le dernier album du saxophoniste ténor Jimmy Greene, on est transporté, non pas dans un simple lieu de concert, mais dans une forme vivante, vibrante, presque organique. Comme si l’on retrouvait, le temps d’un disque, l’ambiance d’un concert de Jazz à Vienne, là-bas en France, un soir d’été. Ce disque est d’une modernité fulgurante, d’une inventivité foisonnante, jusqu’à devenir parfois inclassable. Ce qui pourrait sembler fluide à l’écoute repose en réalité sur une architecture musicale complexe et méticuleuse. Greene y déploie un jeu d’une limpidité éclatante, ses notes finement sculptées illuminant la galaxie sonore qui l’entoure.
Récompensé par les critiques du magazine DownBeat, As We Are Now est plus qu’un bel album: c’est une déclaration musicale poignante sur le bien-être personnel, et plus largement sur la résilience collective d’une famille, d’une communauté. Douze ans après l’assassinat de sa fille Ana lors de la fusillade de l’école Sandy Hook, à Newtown, dans le Connecticut, Jimmy Greene revient non pas dans les ruines de la douleur, mais dans un espace reconstruit, où la mémoire cohabite avec l’espoir, où la musique devient prière et élan de vie.
Dès le premier morceau, «Praises», l’album s’ouvre sur une déflagration d’énergie lumineuse. Le saxophone de Greene exulte sur un ostinato vibrant, soutenu par des tambourins qui évoquent le souffle rythmique des églises afro-américaines. Le tout est renforcé par l’accompagnement fervent du pianiste Aaron Goldberg. Greene y joue comme s’il portait un message sacré. Goldberg lui répond par un solo ancré dans le swing, enthousiasmant et généreux. Le ton est donné.
Cette logique traverse tout le disque: des compositions à la fois profondes et exaltantes, où la musique parle comme une voix humaine. Lorsqu’une œuvre atteint ce niveau d’intensité, elle rivalise avec la plus belle des littératures. Et cela me rappelle les répétitions de Joe Zawinul, que je filmais jadis pour des chaînes étrangères, sa liberté musicale, son exubérance. Ce n’est évidemment pas la même musique, mais on retrouve ici cette même énergie, cette même audace. On pense aussi à Wayne Shorter, ou plutôt aux Wayne Shorter, tant il se réinventait à chaque époque. Jimmy Greene appartient à cette trempe-là: des artistes qui changent de forme sans jamais perdre leur âme.
Le morceau-titre, «As We Are Now», est le cœur vibrant de l’album. Il s’ouvre sur la voix parlée de Greene, posée, douce, qui pose une simple question: “Comment allez-vous, maintenant?” Mais dans son contexte, cette question prend un poids considérable. Au fil du morceau, des extraits de discours de sa femme, Nelba Márquez-Greene, et de leur fils Isaiah, viennent s’ajouter à l’instrumentation, créant un écrin d’intimité et d’émotion. Greene et le guitariste Mike Moreno y livrent des solos inspirés, lumineux, tandis que la basse profonde de Dezron Douglas résonne comme un battement de cœur.
Ce disque est plus qu’un album: c’est un témoignage vivant. Une œuvre qui ne sépare pas la vie de l’art, ni la douleur de la joie. Il s’en dégage une humanité vibrante, un souffle vital qui traverse chaque morceau.
Les influences sont multiples, mais jamais dispersées: elles forment un tout cohérent, une invitation au voyage. À chaque instant, l’auditeur peut s’attendre à une surprise, un miracle discret : une modulation inopinée, un rythme qui se dérobe, une lumière qui jaillit d’un solo.
En écrivant ces lignes, en réajustant ici une phrase, là un mot, je me rends compte que l’album tourne en boucle depuis des heures. Et pourtant, aucune lassitude. C’est la preuve la plus évidente:
As We Are Now est un très grand disque. De ceux qui vous habitent. De ceux que l’on n’oublie pas.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, June 24th 2025
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To buy this album (on July 25th)
Musicians :
Jimmy Greene, saxophones and percussion
Javier Colon, vocals on Seventeen Days
Mike Moreno, guitar
Aaron Goldberg, piano
Shedrick Mitchell, Hammond B3 organ
Dezron Douglass, bass
Jonathan Douglas, bass
Jonathan Barber, drums
Rogerio Boccato, percussion
Gabriel Globus-Hoenich, congas on Speak Low
Nelba & Isaiah Marquez-Greene, spoken word on As We Are Now
Tracklist :
Praise
Seven Days
Impatient
Linburdened
As We Are Now
Annhelando
Flood Stahe
Speak Low