JIM SULLIVAN – U.F.O.

Light In The Attic
Folk, Pop
JIM SULLIVAN - U.F.O.

Quel lascar tout de même, que ce Jim Sullivan… De l’étoffe dont on tisse les légendes, cet illustre quasi-inconnu n’en coiffe pas moins en ce registre Nick Drake et Sixto Rodriguez au poteau. Qu’on en juge: si du premier l’on retrouva au moins le cadavre, et si le second fut redécouvert en vie au terme d’une traque digne de Conan Doyle (cf. le film “Searching For Sugarman” de Malik Bendjelloul), Sullivan s’est quant à lui bel et bien évanoui dans la nature. En l’occurrence en s’enfonçant (apparemment) à pied et sans se retourner dans le désert du Nouveau-Mexique, à 34 ans à peine… À ne pas confondre avec son pseudo-homonyme anglais Big Jim Sullivan (né James George Tomkins, et décédé pour sa part à l’âge respectable de 71 ans en 2012), le véritable Jim Sullivan (colosse guère moins big, du haut de son mètre quatre-vingt-sept) naquit au Nebraska en 1939. Sa famille migra à San Diego, où il fut assigné au poste de quarterback dans l’équipe de football du lycée, tout en se faisant les doigts sur les six cordes au sein d’un garage band au nom ironiquement prémonitoire, les Survivors. Tandis que sa jeune épouse subvenait aux besoins de la famille en œuvrant en tant que secrétaire au sein des bureaux de Capitol Records (basés à L.A., et dont les principaux dividendes provenaient alors des Beach Boys), le dénommé Jim passait ses journées à écrire des chansons inspirées par John Prine et Karen Dalton, et ses nuits à les tester auprès du public relativement blasé des clubs locaux. Ses tentatives pour décrocher un contrat auprès du label où trimait sa légitime se soldèrent toutes par des échecs manifestes, mais l’acteur Al Dobbs (semi-vedette de séries télé) s’enticha suffisamment du répertoire de Jim pour co-financer l’enregistrement d’un album (ainsi que celui du micro-label qui devait le publier, la notion d’indie était alors encore embryonnaire). Déployant un luxueux aréopage de talents locaux pour l’accompagner (tous réguliers du légendaire “wrecking crew” de ce névrosé notoire de Phil Spector, tels le fameux batteur Earl Palmer ou Don Randi aux claviers), son premier album reflète, à plus d’un demi-siècle de distance, à la fois son potentiel et les raisons de son échec commercial. Si les compositions de Sullivan (alors rodé de longue date au circuit folk des coffee-houses) se prêtaient manifestement au traitement ragtime du “Sandman” qui conclut l’affaire en beauté, la richesse des arrangements prodigués par Jimmy Bond (cordes, cuivres, etc.) désoriente encore l’auditeur de nos jours. On était en 1969, et tandis que les Beatles accouchaient de leur magistral chant du cygne (et que des chefs- d’œuvre aussi incompris que le “Astral Weeks” de Van Morrison et le “Happy Sad” de Tim Buckley peinaient encore à trouver leur public), le pauvre Sullivan se trouvait ici affublé d’oripeaux l’apparentant parfois à Procol Harum (“Whistle Stop”, “So Natural” ou “Plain As Your Eyes Can See”). C’est d’autant plus tragique que des joyaux tels que le “Jerome” introductif et “Highways” (dans la veine des premiers efforts de Cat Stevens, circa “Matthew & Son”), “Rosey”, “Johnny” ou encore “Roll Back The Time” (annonçant avec deux bonnes années d’avance le grand Jim Croce) laissaient entrevoir (à l’instar de la plage titulaire) un auteur-compositeur réellement inspiré. Un livret de 48 pages accompagne cette réédition.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, January 28th 2021