Blues-Rock |
Comme nous le rappelle chaque jour l’actualité, les États-Unis d’Amérikkke sont plus que jamais une terre de contrastes. Ainsi, si vous êtes âgé de 74 ans, que vous répartissez vos résidences entre New-York et Washington, et que vous contractez malencontreusement ce satané COVID-19, vous pouvez être libéré d’hospitalisation en moins de trois jours. Mais si par contre vous êtes musicien à Saint-Louis, que vous avez un album qui grimpe au delà de la troisième place des charts, et que vous préparez une tournée de 74 dates, vous vous trouvez confiné à domicile pendant des mois… Il est vrai que Jeremiah Johnson ne concourt pas précisément à l’investiture suprême, et que le blues-rock ne figure pas sur la playlist de la Maison Blanche, mais tout de même… Depuis le “Burn Down The Garden” introductif (“et sème les graines de l’amour”), cet album remonté à bloc arbore fièrement son héritage seventies, entre Skynyrd (“Muddy Black Water”, “Daddy’s Going Out Tonight”) et les Allmans. Rien d’étonnant d’ailleurs, si l’on considère que le batteur impliqué, Tony Antonelli, provient du Devon Allman Project. Résumons le propos: comme l’immense majorité des musiciens actuels, Jeremiah Johnson a vu sa carrière en développement stoppée par les effets conjugués d’une pandémie aussi inopinée que galopante. On comprend sans difficulté l’immense frustration que suscite la situation, et “what can a poor boy do, except to sing for a rock n’ roll band”, comme le chantait voici un bon demi-sècle un actuel multi-millionnaire (lui-même désormais retiré dans son château tourangeau)? Si la colère est souvent mauvaise conseillère, elle peut par contre s’avérer une fructueuse source d’inspiration, comme en témoignent ici la seule cover, celle du “Cherry Red Wine” du regretté Luther Allison (brûlante comme l’enfer), ainsi que l’explicite plage titulaire et les déchirants slow-blues “Different Plan For Me” et “Love And Sympathy” (soutenus par l’orgue Hammond du bassiste et producteur Paul Niehaus IV). Jeremiah Johnson demeure indéniablement l’un des guitaristes les plus incendiaires et bouleversants de sa génération, et voici l’album furax (mais diablement funky) d’un trio acculé dans ses ultimes retranchements. Imaginez ZZ Top coincé chez Pôle-Emploi, et savourez le pandémonium qui en découle… Entre Creedence et Ten Years After, le “Rock N’ Roll For The Soul” conclusif dessine la voie d’une possible rédemption: comme disait l’autre, “music is your only friend, until the end”.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, October 16th 2020