Jennifer Madsen – Reimagine (FR review)

SingBaby Productions – Available
Jazz
Jennifer Madsen – Reimagine

Réinventer les standards : Jennifer Madsen éclaire de nouveau d’anciennes chansons.

Il faut une certaine forme de courage, et plus qu’un peu d’art, pour sortir un album construit autour de chansons que beaucoup de mélomanes portent déjà dans l’oreille et dans la mémoire. Trop souvent, les albums de reprises tombent à plat: fidèles mais sans inspiration, techniquement corrects mais émotionnellement creux. Reimagine, le nouvel album de la chanteuse de jazz Jennifer Madsen, échappe brillamment à ce piège. Dès les premières mesures, l’album s’impose non comme une simple collection d’interprétations, mais comme une véritable œuvre de vision artistique.

Ce qui capte d’abord l’oreille, c’est la voix de Madsen. Elle n’est pas, à proprement parler, une simple interprète: elle appartient à cette catégorie rare de chanteuses qui possèdent une identité vocale proche de celle d’un instrumentiste, plutôt qu’une simple figure de premier plan. En ce sens, elle s’inscrit dans la lignée d’artistes comme Manhattan Transfer ces voix capables de modeler, d’assouplir, de colorer une chanson, au lieu de seulement la porter. Madsen traite la mélodie comme une matière première, qu’elle façonne avec précision et audace.

C’est cette qualité qui définit Reimagine. Le titre aurait pu paraître présomptueux dans d’autres mains, mais ici il s’impose avec évidence. Rien d’ostentatoire, aucune surenchère, aucune volonté d’épater. L’album révèle au contraire une artiste parfaitement consciente de ses forces, et une chanteuse qui, de ce projet, sort grandie, plus singulière encore.

Une grande partie de ce succès tient aussi aux musiciens qui l’entourent. Au centre de tout: le pianiste et arrangeur Brent Edstrom. Ses empreintes sont partout. Mais réduire Edstrom à son rôle de pianiste serait réducteur. C’est un musicien aux multiples facettes: pianiste raffiné, compositeur d’œuvres orchestrales, improvisateur de jazz, technologue musical qui a travaillé autant en studio et dans le domaine de la musique à l’image que sur scène. Son parcours est impressionnant: Prairie Songs: Remembering Ántonia, cycle de chansons créé en France et aux États-Unis; deux concertos pour piano, jazz et orchestre; The Song of the Lark, enregistré avec Tierney Sutton, Jeff Hamilton et Jon Hamar. Pourtant, rien dans ses contributions ici ne relève de l’ego. Ses arrangements se fondent dans les chansons, soutenant Madsen avec une subtilité qui traduit autant sa maîtrise technique que son empathie artistique.

Il y a une forme de noblesse chez ces musiciens comme Edstrom, dont la carrière s’épanouit souvent en coulisses – musique de films, enregistrements studios, projets collaboratifs où leurs noms restent dans l’ombre. Mais c’est justement cette retenue qui illumine Reimagine. Il met en valeur la voix de Madsen plutôt que de rivaliser avec elle. Le résultat est un dialogue artistique d’une grande intensité, presque une conversation en temps réel.

La meilleure illustration se trouve au milieu de l’album, avec le cinquième titre, Over the Sea. Ici, Edstrom réduit l’accompagnement à sa plus simple expression, laissant la voix de Madsen flotter dans l’air. L’effet est d’une simplicité désarmante et pourtant profondément bouleversant. C’est le genre de moment qui rappelle pourquoi la voix humaine, dépouillée de tout artifice, demeure l’instrument le plus direct et le plus émouvant. Il ne s’agit pas de virtuosité, mais de sincérité, d’intimité, de cette capacité à toucher l’auditeur sans fard.

La construction de l’album mérite aussi l’attention. Plus qu’une succession de morceaux, Reimagine semble pensé comme une narration, une progression. On imagine sans peine ce qu’il donnerait sur scène: un concert qui suivrait cette trajectoire, jusqu’à l’épuisement d’une chanteuse donnant tout, titre après titre, puis souriant autant à ses musiciens qu’à son public.

Cette sincérité se retrouve jusque dans la manière dont Madsen se présente. Son site web l’identifie simplement comme «Jazz Vocalist & Performer». Une modestie qui contraste avec la pratique courante, où d’autres affichent distinctions et éloges à la moindre occasion. On pourrait bien sûr enrichir cette description de qualités multiples, mais sans doute vaut-il mieux laisser parler la musique. Car ce sont justement cette humilité, cette énergie et cette forme de poésie intemporelle qui la rendent si attachante.

Si la plupart des albums de reprises ressemblent à des exercices, agréables mais prévisibles, Reimagine exige, lui, d’être pris au sérieux comme œuvre d’art. Ce n’est ni un geste de nostalgie, ni une pièce de musée, ni un recyclage habile de matériaux connus. C’est un disque avec son atmosphère propre, son rythme, sa voix. Et il réussit parce que Madsen et ses compagnons l’abordent non avec prétention, mais avec passion, exigence et respect.

En définitive, Reimagine tient la promesse de son titre: il nous permet d’entendre des chansons familières autrement, dans la clarté d’une artiste qui connaît ses forces, et grâce à des musiciens qui mettent leur talent au service de sa vision. Si tous les albums de reprises atteignaient ce niveau, les critiques que nous sommes auraient bien moins à redire, et bien davantage à célébrer.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, August 17th 2025

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To buy this album

Jennifer Madsen’s website

Brent Edstrom’s website

Musicians:
Jennifer Madsen, Voice
Brent Edstrom, pianist/arranger
Clipper Anderson, bass
Mark Ivester, drums

Tracklisting:
Body and Soul
I Can’t Give you Anything But Love
Willow Weep For Me
Honeysuckle Rose
Beyond The Sea
I (Who Have Nothing)
Gone
In The Wee Small Hours
You Don’TKnow What Love Is
Mewan To Me
Someone To Watch over Me