Blues

Sacré Jeff Toto! Plus de deux décennies déjà qu’il arpente les scènes de l’Hexagone (mais aussi d’Europe et des States) en haranguant foules et comités parfois plus restreints avec la même faconde éraillée. Désormais presque à la tête d’une douzaine d’albums, il persiste contre vents et marées à beugler son blues en français. Un parti-pris courageux, et un pari qu’il demeure l’un des rares à avoir tenté avec succès. Si Paul Personne, Bill Deraime et Benoît Blue Boy l’ont certes osé avant lui, combien d’autres se réfugient encore dans un yaourt phonétique plus confortablement balisé? Car il ne suffit pas d’avoir quelque chose à raconter, encore faut-il que la langue de Voltaire parvienne à swinguer au niveau de son équivalent anglo-saxon. À ce titre, des boogies aussi fumasses que “Indomptable”, “Vive Allure” et “Boogie Blues” se hissent au niveau des regrettés Lyonnais de Ganafoul (remember Jack Bon?). L’adéquation entre texte et musiques y fait indéniablement mouche, et les motards auvergnats et d’ailleurs pourraient bien les adopter pour hymnes. Dédiée à son nouvel instrument de prédilection, la plage titulaire, entre ZZ Top et Thorogood, exhale également son pesant de kérosène, tout comme “La Fourmilière” et sa slide explosive. La portée séductrice de “Etrange Sort” ne se situe guère en deçà, et on se dit qu’Aubert et Bertignac auraient peut-être gagné à recruter Jeff Toto pour auteur. D’autres textes interpellent l’auditeur au plus intime (“La Corde”, “Laisse Passe”, “Oradour”), et la congruence entre sonorités et propos s’y confirme avec brio. La complicité de Jeff Toto avec Martial Semonsut (qui assure les parties de basse et de batterie) s’avère tout aussi palpable… Quand un guitariste expressif trouve les mots sensibles pour nous faire vibrer à l’unisson de ses émotions (entre rage, désespoir et tendresse), on n’a qu’une envie: enfoncer la touche replay.

Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, March 13th 2020