Jakob Dreyer – Roots And Things (FR review)

Fresh Sound Records - Street Date : November 14, 2025
Jazz
Jakob Dreyer - Roots And Things

Les auditeurs avertis reconnaîtront immédiatement les racines culturelles européennes de ce compositeur et contrebassiste. Pourtant, comme tout artiste ayant vécu de nombreuses années aux États-Unis, ses influences se sont nourries d’autres traditions: entre les origines du jazz, les sources classiques et les idiomes folkloriques, se dessine un concept d’une rare intensité. Certains contrebassistes, lorsqu’ils composent, tentent d’échapper à la gravité de la section rythmique, pensons à Renaud Garcia-Fons, pour faire de leur instrument un personnage à part entière et instaurer une forme de dialogue. Chez Jakob Dreyer, en revanche, c’est une insistance rythmique subtile qui s’impose, glissant au cœur de ce qui devient son identité. Et lorsque l’on découvre son album de seize titres, la perspective change radicalement.

Roots And Things se présente comme l’œuvre la plus personnelle de Dreyer à ce jour. Seize pièces, une profusion inhabituelle à l’heure des albums épurés, invitent à une écoute profonde plutôt qu’à une simple consommation. L’album, paru sur Fresh Sound Records, sonne à la fois urbain et introspectif, cinématographique et méditatif. Son arc narratif se déploie comme un journal d’humeurs, ou peut-être une suite de monologues intérieurs.

Un tel nombre de morceaux ne peut être fortuit. À mesure que l’on avance, la musique s’impose à nous, persiste dans la mémoire bien après s’être tue. Ce n’est qu’alors que l’énergie citadine, cette course quotidienne en quête de sens, se révèle. Et si ce sens n’était autre que la manière dont nous regardons notre environnement? Les compositions de Dreyer posent la question sans emphase: elles explorent la perception elle-même, comment le rythme devient pensée, comment la mélodie se fait miroir de la réflexion.

On en vient naturellement à se demander quels musiciens ont forgé une telle sensibilité. Une maîtrise de cet ordre ne surgit pas du néant. Dreyer a partagé la scène ou le studio avec Steve Wilson, Jochen Rueckert, Rich Perry, Anna Webber, Glenn Zaleski, Sasha Berliner, Jon Davis, Tobias Meinhart, Jamie Baum, Mike Holober, David Berkman, Ron Blake, Kenneth Salters, Tivon Pennicott, Billy Drewes, Mareike Wiening, Troy Roberts, Colin Stranahan, Marta Sánchez, Alex Goodman et Manuel Valera.

Il est fascinant de constater que la plupart de ces musiciens appartiennent à ce même écosystème du jazz postmoderne que j’évoque souvent ici. Ce n’est donc pas un hasard de retrouver la remarquable vibraphoniste Sasha Berliner: précise, élégante, farouchement singulière. Elle se glisse avec une aisance naturelle dans l’univers de Dreyer tout en conservant son timbre propre. Sans exagération, elle demeure l’une des voix les plus captivantes de sa génération. Le quatuor qu’elle forme ici vise l’excellence à tous les niveaux, et les compositions témoignent d’une ambition intellectuelle aussi claire que sensible.

Une telle ambition appelle inévitablement des parallèles littéraires. On pense à Thomas Mann, pour qui la musique était à la fois réflexion et exaltation. Son *Docteur Faustus*, dont le héros est un compositeur hanté, rappelle que le son peut incarner la quête métaphysique: écrire de la musique, c’est sonder les limites de la raison et de l’esprit. L’œuvre de Dreyer, sans partager la tragédie de Mann, touche à ce même élan: élever l’expérience par la structure, trouver la grâce dans la rigueur.

Curieusement, cet album m’a aussi ramené à la pièce «La Contrebasse» de Patrick Süskind. On imagine volontiers la musique de Dreyer en accompagnement de ce monologue, ajoutant une couche de réflexion au-delà des mots. Car la musique de Jakob Dreyer possède cette vertu rare: elle élève l’esprit.
Seize compositions: non pas une simple collection, mais une déclaration. Chaque titre devient une question, une méditation, une note dans un journal inachevé. Ce qui en ressort tient moins de l’album de jazz que de la symphonie de chambre pour ensemble de jazz: une invitation à rêver, à divaguer, à écouter autrement.

Chaque note révèle un fragment de beauté; chaque silence, un écho de pensée. Cet album ne s’adresse peut-être pas à tous, il exige attention, patience et abandon. Mais ceux qui se laisseront porter par son courant y trouveront sans doute une forme de grâce.

On dit que le mois de novembre, comme les précédents, sera riche en propositions culturelles. Si tel est le cas, c’est grâce à des artistes comme Jakob Dreyer et ses compagnons de route, dont la musique nous rappelle que l’art d’écouter demeure l’un des actes humains les plus rares et les plus purs.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, October 23rd 2025

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To buy this album

Website

Musicians :
Jacok Dreyer, double bass
Tivon Pennicott, tenor sax
Sasha Berliner, vibraphone
Ken Salters, drums

Track Listing :

  1. The Fifth Floor (Jakob Dreyer) 2:10
    Constellation (Jakob Dreyer) 5:56
    03. Follower (Jakob Dreyer) 4:34
    04. June Tune (Jakob Dreyer) 5:49
    05. Land of 1000 Blues (Jakob Dreyer) 0:21
    06. With a Song In My Heart (Rodgers-Hart) 5:16
    07. Bodega (Jakob Dreyer) 0:31
    08. Downtime (Jakob Dreyer) 6:21
    09. Fight or Flight (Jakob Dreyer) 5:44
    10. MTA (Jakob Dreyer) 0:40
    11. Hold On (Jakob Dreyer) 5:12
    12. Room 1102 (Jakob Dreyer) 1:54
    13. Roots and Things (Jakob Dreyer) 5:20
    14. Invisible (Jakob Dreyer) 0:18
    15. Big Apple (Jakob Dreyer) 5:03
    16. Choral Diner (Jakob Dreyer) 0:40

Recording Engineer: Ryan Streber
Mixed & Mastered by: David Darlington
Photos: Anna Yatskevich
Produced by Jakob Dreyer
Executive Producer: Jordi Pujol
This sound recording © 2025 by Fresh Sound Records
Blue Moon Producciones Discograficas, S.L.