JACK MONO BLUES – Everything’s gonna be alright

Production : Association Zone Bleue / 2019
Blues

A la bonne heure, quel bonheur. Je ne vous cache pas mes émotions, car une nouvelle fois je me réveille en me frottant les yeux, certain de n’avoir pas picolé la veille au soir avec Sonny Boy Williamson. Là est la réalité, celle de me retrouver chez mon amie, la belle Mama à la peau d’ébène, dont jamais je n’oublierai le nom, patronne d’un bar enfumé, quelque part dans la banlieue de Chicago, qui toujours m’accueille chez elle, les bras grands ouverts, pour assister en Live à un de ses concerts d’exception.
Je me souviens toujours de cette première rencontre avec elle, il y a bien longtemps, mais que voulez-vous, je ne peux me passer d’être auprès d’elle pour que désormais vivent mes délires au présent. Résurrection, c’était bien avant que les Stones ne chantent ‘Satisfaction’.
Sans équivoque, à cette époque où perlait la sueur du labeur dans les champs de coton, où coulait à flot du côté de Lynchburg dans le Tennessee le bourbon, Bukka White disait “Et maintenant on va remonter vers le nord, faire toute la route jusqu’à Chicago, Illinois. Je vous offre un gentleman qui porte le nom de Little Walter.”
En parlant de Little Walter, né Marion Walter Jacobs, Muddy Waters disait “Quand je l’ai rencontré, il ne buvait que du Pepsy Cola. Juste un enfant. Et je vais te dire, j’avais le meilleur joueur d’harmonica du milieu, mec.”
Howlin’ Wolf, quand à lui, rétorquait “Il aurait pu être le plus grand. Je n’aime pas déballer sur quelqu’un, mais ce garçon aurait pu être au sommet du blues. Jeune, beau, les femmes venaient pour lui. Mais l’alcool et la drogue l’ont démoli.”
Place au concert! Black Mama est heureuse ce soir. Comme à son habitude, la salle est comble pour recevoir le groupe Jack Mono Blues, et déjà elle fredonne de son fort accent enjoué, ponctué d’un large sourire qui embellit ses rides “I say yeah, ev’rything goin’ to be alright. When we get together, baby, we can make love, can’t we…”
Tout comme Mama le sait, nous allons vivre et jouir d’un Blues authentique, au plus près de ses racines durant toute cette soirée, bien loin de certaines reprises habituelles, souvent les mêmes, que vous, public des années à venir, du début du vingtième siècle, qui pour nous semble un futur dont nous n’avons cure, auraient l’habitude d’entendre en concert et sûrement de vous lasser. Si, si, mine de rien, je ne suis pas innocent, j’en sais quelque chose et je peux vous l’avouer!
A chacun son époque. Ici, sur la rive du lac Michigan, dans les clubs, dans les bars, ça joue tous les soirs et ce jusqu’à la naissance de l’aube. Bien heureux que nous sommes, vous pouvez nous envier.
Formé en 1985 pour vous, 1895 pour nous, le groupe Jack Mono Blues va jouer l’intégralité de ce nouvel album, le huitième tout de même, intitulé ‘Everything’s gonna be alright’. Ce sont 16 titres, des adaptations de reprises très personnelles, dont le quatuor détient le secret pour un long set d’une durée de 73 minutes.
Dès l’entrée des musiciens sur scène, Régis Delongvert, aux guitares et au chant, Philippe Bruneau, aux harmonicas et au chant, Yves Lafont à la basse et Guy Chanteperdrix à la batterie, fusent les applaudissements. Ces ‘Papy’ du Blues, musiciens aguerris, ne sont pas nés de la dernière pluie, car depuis leurs débuts des trombes d’eau ont coulé entre les ponts de Michigan Avenue et celui de Saint-Charles.
Le quatuor nous convie à un voyage intemporel, initiatique et combien émotionnel dans les contrées du Blues, longeant la Route 49 de l’Arkansas au Mississipi jusqu’aux confins de cette mythique Route 61, The Blues Highway, reliant Wyoming dans le Minnesota à La Nouvelle-Orléans en Louisiane.
Dès ce premier titre, ‘You upset my mind’, de Jimmy Reed, Mama ne peut retenir ses larmes, car cette chanson elle la connait par coeur. Elle n’est pas la seule d’ailleurs à pleurer, elle me l’a déjà confié. Ce n’est pas un secret et je vous en fais part, elle accompagnait parfois au chant son mari Jimmy Reed afin de pallier à ses fréquents trous de mémoire, car ce dernier souffrait de delirium tremens.
Deux titres de Walter Jacobs, Little Walter pour les intimes, seront joués, ‘Can’t hold out much longer’, ainsi que ‘Everything’s gonna be alright’, titre de l’album de Jack Mono Blues. Réputé pour sa technicité et sa virtuosité, Little Walter a révolutionné les techniques existantes de l’harmonica blues, utilisant le microphone comme caisse de résonnance externe à son instrument. Il est décédé ici, à Chicago, en 1968, lors d’une bagarre de rue. Triste, Mama s’en souvient et acquiesce d’un regard qui en dit long.
Après ‘Goin’ away baby’ de Jimmy Rogers, né James A. Lane dans le Mississipi mais également décédé à Chicago, lui d’un cancer, décidemment le mauvais sort s’acharne sur cette ville, laissons place aux festivités. Nous frapperons tous dans nos mains sur les accords de guitare de ‘I can’t be satiesfied’ de McKinley Morganfield. Inutile de vous présenter ce bluesman de légende, vous le connaissez tous sous le nom de Muddy Waters.
Les titres s’enchainent, ‘The same old thing’, ‘I just want to make love to you’ de Willie Dixon, boxeur à ses heures, contrebassiste et précurseur du Chicago blues de l’après-guerre, ‘House in the woods’ du texan Sam Lightnin’ Hopkins, qui dans sa vie a enregistré plus de 85 disques, ainsi que ‘Key to the highway’ de l’incontournable Big Bill Broonzy, né en juin 1893 à Scott dans le Mississipi. J’ouvre une parenthèse personnelle sur ce bluesman, car je l’ai découvert par le biais de ses enregistrements milieu des années 70. Il est pour moi le précurseur, celui que j’ai écouté pour la première fois, qui m’a fait connaitre et aimer le Blues, le vrai Blues, celui qui toujours m’émeut et me fascine, et dont jamais je ne pourrais me lasser.
Ce soir, chez Mama, une nouvelle fois le Blues est en fête, le public est aux anges et les musiciens du Jack Mono Blues en état de grâce.
Sur les titres déjà cités et tous ceux à venir, ces artistes vont nous bluffer de par leurs jeux respectifs et cette touche de modernité, sans fioritures superflues pour conserver l’essentiel de cette musique, c’est à dire l’âme originelle du Blues.
Sur tous les titres, énorme est la présence de l’harmonica. Il nous enivre de ses notes à nous couper le souffle. Sacré ruine-babines! Ce terme n’usurpe pas sa réputation, il flirte avec la fluidité des accords de guitares dont certains riffs calibrés nous font frissonner. Les deux voix ne font qu’une, leurs intonations chantent les joies et les peines de cette discipline, musique dite du diable, gorgée de groove avec les rondeurs de basse et cadencée avec sensibilité et éloquence derrière les fûts.
Lorsque les 4 complices du Jack Mono Blues semblent improviser, fortes impressions ils font. Je vous assure, c’est carré, c’est inné, ils jouent sur du papier millimétré. Peut-être ne l’avoueront-ils pas, mais à n’en pas douter, Régis, Philippe, Yves et Guy détiennent également les secrets de la machine à voyager dans le temps, car pour jouer un tel Blues et nous le faire si intensément vivre, comment peut-il en être autrement…!
Tu as raison, Bukka White, eux également ont dû remonter vers le nord, des rives du Mississipi vers l’Illinois. Il ont dû en croiser, des bluesmen de légende, faire la fête et bivouaquer avec eux pour ‘taper le boeuf’ et improviser à maintes et maintes reprises autour du feu sacré sous des cieux étoilés.
A mi-concert, lorsque le groupe reprend cette chanson d’Arthur ‘Big Boy’ Crudup, ‘That’s all right mama’ enregistrée en septembre 1946 à Chicago et immortalisée en 1954 par Elvis Presley, généreuse comme pas une, Mama offre une tournée générale, comme c’est de coutume chez elle en ce lieu.
Petit break à la fin de ce titre, et comme elle sait toujours si bien le faire pour conjuguer l’humour et que règne la bonne humeur, elle en profite pour lancer à la cantonade, je cite: “Que ceux qui n’ont jamais rêvé de passer une nuit avec Ma Rainey ou Bessie Smith, lèvent le doigt”. Les hommes présents s’esclaffent de rire, mais vous devez vous en douter, pas un ne lève ne serait-ce que le petit doigt.
Après ce petit intermède, deux bons vieux blues à la fois lents et rythmés sont joués par le Jack Mono Blues, ‘Next time you see me’ de Earl Forest & Bill Harvey et ‘Born under a bad sign’ de William Bell & Booker T Jones, repris ensuite par Albert King, dont il fera l’intitulé de son deuxième album en 1967.
Chez Mama, de nombreuses photos d’elle en compagnie de tous ces bluesmen aux mains noires, venus dans son bar gratter les cordes de leurs guitares et faire pleurer leurs harmonicas, trônent sur les murs. Lorsque le Jack Mono Blues reprend ce titre ‘Help me’, joué d’une façon si intense, si émotionnelle, la photo de Sonny Boy Williamson II, comme par miracle, semble prendre vie.
Billy Boy Arnold, lui, ne restera pas de marbre, car dès les premières notes d’harmo sur ‘I wish you would’, admiratif, nous devinons son regard complice.
Quand à Junior Wells, il a dû sonner la cloche de bon matin pour être présent ce soir et ainsi frapper dans ses mains avec nous sur cette chanson ‘Hoodoo Man’.
Sur ce dernier titre endiablé, ‘Buck dance boogie 1940′ de Sam Lightnin’ Hopkins, tout le public se lève pour quelques pas de danse, devant la petite scène, entre les tables et même dans la rue, pour clore cette soirée festive. Ici, chez Mama Reed, dans la banlieue de Chicago, pour l’éternité, le meilleur du Blues est le Roi de la fête.

Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises, car le groupe offre gracieusement leur album à toutes les personnes présentes à ce concert.
En ces termes, ils nous expliquent les raisons de ce choix: “Nous continuons notre politique de diffusion des albums. N’ayant pas de temps à perdre dans la recherche d’un diffuseur, recherche qui a d’ailleurs peu de chance d’aboutir, nous reprenons le système qui a bien fonctionné lors de la sortie de ‘N°12 train took my baby, désormais épuisé. Nous avons le plaisir d’offrir l’album au public à chacun de nos concerts .Nous préférons avoir un CD qui sera écouté plutôt qu’attendre un hypothétique achat chez un distributeur. Nous pensons que procéder ainsi est une manière élégante de partager avec notre public qui reste fidèle depuis de très nombreuses années. Afin de clore le sujet et éviter les polémiques, cet album comme les précédents ne bénéficie d’aucune subvention ni aide financière autre que celle qui vient des membres du groupe. Pour tous ceux qui ne peuvent se déplacer pour nous écouter, nous pouvons leur expédier l’album par voie postale, les frais d’envoi seuls restant à leur charge.”
Pour ma part, loin de moi est l’idée de balancer un pavé dans la mare, ni de jeter la pierre à quiconque, pour que cette dernière de ses ricochets fasse bon nombre. Simplement je fais la constatation suivante: à savoir que l’on peut généreusement, comme je le fais, vivre de ses passions, sans aucune addiction à ce foutu porte monnaie façonné en peau de hérisson. Aïe, dirons certains, ça pique…mais je n’en ai cure!
Accolades parmi le public, embrassades avec Mama, ici peu importe la couleur de peau, la discrimination n’a pas sa place. Pour preuve cette photo sous une lumière tamisée au dessus du bar avec Mama et son amie Aretha Franklin, dédicacée par cette dernière avec ces mots: “Nous exigeons tous et voulons le respect, homme ou femme, noir ou blanc. C’est notre droit humain fondamental”, tel un message à méditer pour les générations à venir.

Amis lecteurs de Paris-Move, vous n’aurez peut-être pas ce privilège de rencontrer ou de retrouver le groupe Jack Mono Blues dans l’Illinois. Mais rassurez-vous, nul besoin de prendre l’avion, le Jack Mono Blues joue fréquemment dans leur fief, en région lyonnaise, alors surtout ne les manquez pas! Et si vous n’habitez pas la région lyonnaise, faites le déplacement, car vous repartirez avec un excellent album et le souvenir d’un concert qui vous aura remué les tripes et les neurones.
Un album “Coup de Coeur” qui mérite votre coup de coeur et votre présence, lors d’un prochain concert du Jack Mono Blues! Un album que la rédaction de PARIS-MOVE a classé dans la catégorie des indispensables! Car il est… “indipensable”!

Alain AJ-Blues
Rédacteur en chef adjoint – Paris-Move

PARIS-MOVE, May 8th 2019

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Procurez-vous cet excellent et indispensable album du Jack Mono Blues, ‘Everything’s gonna be alright’: vous en connaissez la démarche, et également la générosité de ces musiciens, alors surtout n’hésitez pas à en faire la demande, faites les connaitre et parlez-en autour de vous…!!!
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