Si l’on vous annonce d’emblée que cette apparente nouvelle venue sur la scène de Nashville connut une enfance maltraitée au sein d’une famille dysfonctionnelle, et qu’elle eut longtemps recours à des anxiolytiques de cheval pour surmonter sa panique existentielle, vous aurez tôt fait d’y voir un portrait à la Fantine des Misérables. De ceux dont, depuis Hank Williams et Loretta Lynn, le public de la country music américaine se repaît pour exorciser par procuration ses propres failles et démons, un peu l’équivalent de Piaf chez nous, en somme… Mais stop, halte au feu, vade retro Bourdieu et Zola: comme elle l’énonce dès le “Ain’t My First Rodeo” d’ouverture, India Ramey n’est pas venue faire pleurer dans les chaumières. C’est une battante, et depuis qu’elle a surmonté ses addictions chimiques, elle rend à la vie coup pour coup. “These ain’t just boots/ They’re bullshit kickers” y admoneste-t-elle le baratineur de service. Sur le plan sonore, elle nous ramène d’un trait à ce carrefour crucial où des fondatrices telles que Tammy Wynette et Wanda Jackson scellèrent leur pacte d’émancipation sur les cendres du rockabilly sudiste. Pendant féministe et honky-tonk du mouvement outlaw dont les prophètes demeurent Willie Nelson, Waylon Jennings et Kris Kritofferson, ces nanas ne mâchaient déjà pas leurs mots, tandis qu’elles parsemaient leurs plaidoyers romantiques de cavalcades bourrues, destinées à amener leurs consœurs à relever le menton, quitte à jeter leurs tabliers aux orties pour tenir tête à leurs cow-boys d’opérette. C’est précisément ce à quoi s’emploie India au fil de son troisième album depuis 2017. À la tête d’un gang de desperados comprenant pas moins de trois guitaristes (un acoustique, un électrique et le pedal-steeler de rigueur), elle plie toute réticence en trois torpilles expédiées en moins de 7’30 chrono, avant d’entrer dans le vif du trauma avec les autobiographiques “Piece Of My Mind” et un “She Ain’t Never Coming Home” moins idyllique que la version qu’en rendirent en leur temps les Beatles. Elle rejoint le pathos de la Dolly Parton de “Jolene” sur le languide “The Mountain”, où la pedal-steel fait souffler un vent glacial et pénétrant, tandis qu’elle y confirme son tempérament de real country lady. Le saddle beat reprend ses droits sur l’irrépressible hillbilly “Down For The Count”, mais Ramey renverse les rôles (et la table de noce avec) sur le réjouissant “It Could Have Been Me”, où elle se félicite d’avoir échappé au mariage de son ex avec sa nouvelle conquête (“Now she’s the one/ Who’ll be cryin’ herself to sleep”). Avec son côté “Riders In The Sky”, “Never Going Back” est une déclaration d’indépendance dont pourront s’inspirer maintes autres fugueuses, auxquelles le désabusé “Rotten” dépeint le destin qui guette ceux qui s’accrochent en pure perte à une relation toxique. India n’en met pas moins un point d’honneur à conclure cet album sur le mode optimiste, avec l’enlevé et défiant “Go On Git”, où ses congénères font feu de tout bois en 2’32 et sans faux gras. Si la country music actuelle avait besoin d’un bulletin de santé, ce disque pourrait aisément en faire office.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, August 27th 2024
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