| Jazz progressif |
Comment ça, “invitez votre œil”? Loin de constituer la moindre accolade au patriarche borgne de l’extrême droite française, le titre du premier album de ce trio se réfère davantage au caractère éminemment cinématographique de sa pâte instrumentale. Si “And It Happens Every Day” et “Even As You Smile” évoquent ainsi le regretté Maestro Morricone émargeant chez David Lynch (plutôt que de se compromettre chez Tarantino), la longue dérive “Dusty Village” et la plage titulaire rappellent pour leur part les paysages désolés que dessinait le Can de “Future Days” et “Flow Motion”, voici un demi-siècle déjà. La parenthèse weird-funk “Wreck The Study” franchie, les deux sections du contemplatif “The Long Goodbye” enserrent le tour à tour lugubre et apaisé “What The Books Say”. Depuis le club qu’il dirige dans l’East-Village new-yorkais, le saxophoniste Suédo-Turc Ilhan Ersahin agrège les rencontres sans cesse renouvelées de scènes locales en perpétuelle évolution. C’est avec le batteur Kenny Wollesen (dont les contributions s’étendent de Norah Jones et Tom Waits à John Zorn et Bill Frisell) que le guitariste-bassiste Dave Harrington (moitié du duo électro-jazz Darkside) a entrepris d’arranger et mettre en forme (depuis son propre studio à Los Angeles) la matière brute de leurs jams nocturnes au cœur de la Big Apple. Y appliquant la démarche que le fameux producteur Teo Macero employa sur le “Bitches Brew” de Miles Davis, il brouille les cartes tel un maître du bonneteau, au point que l’auditeur n’y distingue plus guère l’improvisation spontanée de la reconstruction à posteriori. Qu’importe finalement, puisque cet album vibre et pulse d’un irrésistible élan vital.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, March 16th 2022
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