Jazz |
Iiro Rantala: à la recherche du standard parfait.
Avant d’être salué comme l’un des pianistes les plus brillants d’Europe, Iiro Rantala a toujours été, et reste, avant tout un compositeur: un esprit libre qui se laisse traverser par l’inspiration, d’où qu’elle vienne et quand elle veut. Sa curiosité est sa boussole. Dans ce nouveau projet en trio, il s’attaque à certains des morceaux les plus connus du répertoire jazz et les transforme en quelque chose à la fois familier et totalement inédit. Il ne s’agit pas ici de simples reprises, mais de véritables métamorphoses: Rantala pétrit, façonne et réinvente ces thèmes jusqu’à leur donner un nouveau souffle. Derrière le clavier, il devient un magicien des sons, tirant de ces mélodies que l’on croyait connaître par cœur des couleurs et des émotions insoupçonnées.
Il faut dire qu’il est entouré de deux partenaires aussi brillants que lui. Ensemble, ils créent une alchimie spontanée, généreuse, joyeusement imprévisible ,cette marque rare des musiciens qui se font une confiance absolue. Cette confiance s’enracine dans l’histoire. En 2012, Rantala avait contacté le batteur danois Morten Lund pour enregistrer My History of Jazz. «Depuis, je suis plus convaincu que jamais que Morten est le meilleur bassiste d’Europe. Et pour une raison simple: il est imprégné de la longue et illustre tradition jazz de Copenhague. Il a travaillé avec des musiciens qui ont joué avec Dexter Gordon, Stan Getz, Ben Webster, Ed Thigpen, Niels-Henning Ørsted Pedersen… pratiquement tout le monde. Il a hérité de toute cette histoire.»
La quête de Rantala, aujourd’hui encore, n’est pas une affaire de style ou de genre. Pour lui, seules comptent la forme et la substance, ce qu’il construit et le sens qu’il y met. Trinity, un titre qui, comme souvent chez lui, cache sans doute un jeu de mots, est né d’une rencontre pendant la pandémie. La contrebassiste Kaisa Mäensivu l’a croisé lors d’une jam session à Helsinki. Bien qu’elle soit basée à New York, le lien s’est noué. En décembre 2024, Rantala l’a invitée à jouer avec lui à la réception officielle de la Fête de l’Indépendance, à la résidence du président finlandais, Mäntyniemi. «Morten, Kaisa et moi n’avions jamais joué ensemble avant le concert du Château Palmer, raconte-t-il. Et je n’avais jamais enregistré d’album de standards avec un trio piano-contrebasse-batterie. D’ordinaire, on répète, on joue quelques concerts, parfois une tournée, avant d’entrer en studio. Pas cette fois.»
Ce saut dans l’inconnu donne tout son élan à Trinity. C’est un album de passion, bien sûr, mais aussi de rencontres, trois musiciens se retrouvant à l’intersection de l’instinct et de la confiance. On sent Rantala jouer plus librement qu’à l’accoutumée, laissant à ses partenaires la place de participer à la construction musicale. Le résultat est un disque de conversation plutôt que de direction, où chaque voix trouve naturellement sa place, dans un équilibre d’écoute et de spontanéité.
Une fois cette alchimie trouvée, restait à choisir le programme. Rantala a opté pour un répertoire de standards, une première pour lui, à plus d’un titre. «J’y pensais depuis des années, confie-t-il. À un moment, il faut rendre hommage à ce répertoire. C’est le fondement, comme pour un pianiste classique qui doit un jour affronter les toccatas de Bach ou les sonates de Mozart et Beethoven. Mais je crois que les pianistes de jazz ne devraient pas commencer par-là: la pression est immense, quand on pense à Bill Evans, Oscar Peterson, Keith Jarrett… Une chose était sûre toutefois: je voulais aborder les standards sans les arranger à outrance, et surtout sans les dénaturer. Pas de réharmonisassions compulsive, pas de valse transformée en 5/4. Je voulais les jouer dans la forme la plus pure possible.»
Pour marquer cette intention, Rantala a choisi de ne pas déterrer des morceaux rares ou oubliés, mais au contraire de revisiter les plus connus, ceux qui ne laissent aucune échappatoire. Ce faisant, il permet à l’auditeur de percevoir la «touche Rantala» qui imprègne chaque pièce, de la même manière qu’un grand vin révèle la vérité de son terroir.
Cette transparence est au cœur de son art. Rantala pourrait prendre n’importe quel thème, une chanson populaire, un air folklorique, une comptine, et lui donner une lumière nouvelle. Mais chez lui, il n’y a jamais la moindre trace de prétention. Ce qui le guide, ce n’est pas la virtuosité pour elle-même, mais le désir de partager, de communiquer. Dans Trinity, ce partage s’étend bien au-delà de la relation entre l’artiste et son public: il devient dialogue entre les musiciens eux-mêmes, trois sensibilités distinctes, unies dans une même écoute.
Il en résulte une musique d’une beauté calme et d’une précision poétique, empreinte d’humour, d’empathie et de sincérité, ces qualités rares qui sont depuis longtemps la marque d’Iiro Rantala.
Trinity n’est pas seulement un album de standards; c’est la preuve qu’un morceau, aussi familier soit-il, peut encore nous surprendre, lorsqu’il est joué par un artiste pour qui le véritable standard n’est pas la chanson, mais l’âme qu’on y met.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, October 15th 2025
Follow PARIS-MOVE on X
::::::::::::::::::::::::
Musicians:
iiro Rantala piano
Kaisa Mäensivu double bass
Morten Lund drums
Track Listing :
01 Prolog: Arrivée au Château 00:19
02 Hymne à l’Amour (Édith Piaf / Marguerite Monnot) 03:52
03 I Love You (Cole Porter) 03:14
04 In a Sentimental Mood (Duke Ellington) 05:05
05 Beautiful Love 03:40 (Wayne King / Victor Young / Egbert Van Alstyne)
06 Fais Dodo, Colas Mon P’tit Frère (Traditional) 03:45
07 The Days of Wine and Roses (Henry Mancini) 03:44
08 There Is No Greater Love (Isham Jones) 04:39
09 Blue in Green (Miles Davis / Bill Evans) 03:06
10 Scrapple from the Apple (Charlie Parker) 04:23
11 Smile (Charlie Chaplin) 03:48
12 There Will Never Be Another You (Harry Warren) 07:02
Recorded at Château Palmer in Margaux-Cantenac, France, May 19–22, 2025
Recorded by Arnaud Houpert
Mixed and mastered by Klaus Scheuermann
Produced by Andreas Brandis