HENRY GRAY & BOB CORRITORE – Cold Chills

Vizztone / Southwest Musical Arts Foundation
Blues
HENRY GRAY & BOB CORRITORE - Cold Chills

Depuis son fameux Rhythm Room (club qu’il dirige à Phoenix), Bob Corritore a saisi l’opportunité d’enregistrer quantité de sessions avec les musiciens qu’il y programmait. Sur une période de 22 ans, il a ainsi recueilli nombre de captations d’artistes obscurs ou légendaires, représentant chacun une des multiples facettes du blues, qu’il fut historique ou contemporain. À la jonction des deux, le long partenariat qu’il entretint avec le pianiste et chanteur Henry Gray tient une place particulière, puisque les deux compères finirent par y entretenir une relation quasi-filiale. Cinq ans après le Volume 1 (“Blues Won’t Let Me Take My Rest”, paru sur le défunt label Delta Groove) paraît donc enfin le second volet de leurs aventures communes. Décédé mi-février de cette année à 95 printemps, Henry Gray alignait plus de sept décennies d’activité musicale, et son jeu contribua largement à forger l’esthétique du piano blues moderne, auprès de lascars tels que Sunnyland Slim, Pinetop Perkins, Eddie Boyd ou Otis Spann. Natif de Kenner, bled louisianais proche de Bâton Rouge, il arriva à Chicago à l’âge 21 ans, et ne tarda pas à s’y frayer un chemin dans la turgescente scène des clubs locaux. Sous la houlette du grand Big Maceo, il s’y lia avec nombre de musiciens professionnels locaux (dont Jimmy Reed, Billy Boy Arnold et Elias McDaniel, alias Bo Diddley), et accéda ainsi à ses premières sessions studios en tant qu’accompagnateur. En 1952, la première d’entre elles permit de l’entendre derrière un certain James A. Lane, plus connu sous le sobriquet de Jimmy Rogers (et alors guitariste en titre de Muddy Waters). Suivront des séances auprès de pointures telles qu’Homesick James, Sonny Boy Williamson II, Robert Jr Lockwood, Johnny Shines, Lazy Lester, Little Walter, Buddy Guy & Junior Wells, Otis Rush, Little Walter et bien entendu les figures tutélaires du Chicago Blues électrifié, Muddy Waters et Howlin’ Wolf. Membre attitré de l’orchestre de ce dernier douze années durant, Gray revendique aussi le funeste honneur d’avoir accompagné Elmore James lors de son ultime performance en 1963. Comme nombre de musiciens de l’ombre (et sans que leur valeur ne soit en cause), Henry Gray n’a entamé une carrière personnelle que sur le tard. Il avait déjà près de 70 ans quand parurent ses premiers enregistrements nominatifs (“Blues Won’t Let Me Take My Rest” sur Lucky Cat Records en 99), et son dernier album solo (le judicieusement intitulé “92”) date de 2017. Conscient de côtoyer et soutenir l’un des derniers dépositaires de pans entiers du blues historique, Bob Corritore porte ici témoignage de l’ample versatilité du répertoire de ce modeste géant débonnaire, et la liste des convives résonne comme un bottin de cette musique. Tenez vous bien, on retrouve ici à ses côtés rien moins que John Brim, Robert Jr Lockwood, Tail Dragger, Bob Margolin, Eddie Taylor Jr, Rockin’ Johnny Burgin, Kirk ‘Eli’ Fletcher, Bob Stroger et au rayon drumsticks, le regretté Chico Chism, ainsi que Brian Fahey et Marty Dodson. Seul musicien toujours présent aux côtés de Gray au fil des 14 plages que comporte cette anthologie, Bob Corritore propose de redécouvrir un vétéran encore plein de sève, et en totale maîtrise de ses moyens. Le répertoire est à l’avenant, et se répartit entre standards judicieusement revisités (“Going Down Slow”, “Don’t Lie To Me”, ou encore le “Going Away Baby” de Jimmy Rogers et le “Mother In Law Blues” de Don Robey) et originaux bien troussés. La performance vocale de Tail Dragger sur “Hurt Your Feelings” offre la pétrifiante impression d’entendre Howlin’ Wolf revenu d’entre les morts, tandis qu’Henry Gray assure également le chant sur de réjouissantes adaptations, telles que le “Mojo Boogie” de J.B. Lenoir ou “The Twist” de Hank Ballard (y rappelant ses propres origines louisianaises). Bref, que du bon, du tout bon, de l’excellent et du réjouissant : thank you, Bob !

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, October 22nd 2020