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En 1978, tandis que Marley et ses disciples se répandaient dans l’adoration de feu le Négus Haijé Sélassié, Addis Abeba (capitale de l’Éthiopie réelle) vivait à l’heure du couvre-feu militaire. Seule issue pour les nombreuses formations musicales persistant à se produire dans les clubs et boîtes du cru: alimenter la fête à huis-clos, de minuit à six heures du matin. Parmi celles-ci, le Walias Band (groupe résident du Hilton Hotel) se fendit alors d’un best-seller local en accompagnant une sommité autochtone, le claviériste et accordéoniste Hailu Mergia. Désirant capitaliser sur ce succès en dépit de l’indisponibilité du Walias, ce dernier s’acoquina ensuite avec le Dahlak Band, formation concurrente (elle aussi domiciliée dans un hôtel touristique, le Ghion). Plus populaire (au sens plébéien du terme) que le Walias, le Dahlak s’adressait alors davantage à la jeunesse en mal de fête, et de fait, à l’écoute des premières pistes de cette réédition, on ne peut s’empêcher de trouver à cet orgue zinzinant quelques relents baloches. Se limiter à cette première impression reviendrait toutefois à manquer l’essentiel. Le groove lascif et insidieux de ces dix plages instrumentales (restaurées à partir d’une ultime cassette originale) s’immisce en effet pernicieusement jusqu’à votre rachis. Bien qu’aussi exotique et désuète que la variété cambodgienne dont nous abreuvent certains take-aways de la gare de l’Est, cette musique transporte l’auditeur en des temps et lieux aussi moîtes qu’interlopes, exhalant les senteurs de velours élimé des banquettes de backrooms, mêlées à celles de l’alcool frelaté, de cigares de contrebande et de sécrétions plus ou moins avouables. Bref, le charme irrésistible du chelou de pacotille, plus authentique cependant que maints produits manufacturés dont se repaît le mainstream depuis ces temps innocents. Touchant.