GUY BÉLANGER – Eldorado

Bros
Blues
GUY BÉLANGER - Eldorado

De prime abord, Guy Bélanger passerait presque pour l’équivalent québécois de notre Jean-Jacques Milteau national: un harmoniciste virtuose et tout terrain, capable d’aborder avec le même talent le jazz, la country et le blues. Ayant fait ses débuts auprès du fameux bluesman canadien Bob Walsh, il a ensuite tâté de la musique de films et de séries télé, et presté auprès d’artistes aussi divers que Céline Dion, le Cirque du Soleil, Nanette Workman, Steve Hill, Pat The White ou le groupe de sa belle province, les Colocs. Ce bel éclectisme ne l’empêche toutefois pas de se montrer cohérent, dès lors qu’il se consacre à son idiome de prédilection. C’est le cas sur cet album (son sixième à ce jour), où sa garde rapprochée cède parfois le pas à quelques guests d’envergure, tels que le violoncelliste Eric Longsworth, le percussionniste Paul Picard, le claviériste Bob Stagg ou le guitariste et chanteur allemand Mathis Haug. Comme nombre d’instrumentistes de renom trop souvent confinés au rôle d’accompagnateurs, l’ami Guy profite sans surprise de ses productions personnelles pour démontrer son talent de soliste. À ce titre, il sait ici faire la part belle aux instrumentaux. L’album s’ouvre ainsi sur “Carving The Wind”, qui entend bien ce qu’il signifie: sculpter l’air ne caractérise-t-il pas la pratique d’un procédé à vent tel que l’harmonica? La plage titulaire est un mambo instrumental digne d’une B.O. de Tarantino, où Guy Bélanger explore nombre des facettes de la note bleue, mais il s’avère également un vocaliste de talent, comme en témoignent le quasi-gospel “When Will I Know” (où il ne se taille pas moins un solo d’anthologie sur son instrument), ainsi que la cover de l’un des rares titres optimistes de ce ronchon de Van Morrison, “Bright Side Of The Road”. Autres instrumentaux, les funky “Wicked” et “Ganga” (où brille à nouveau son guitariste, l’excellent Robert McDonald) sont également l’occasion d’apprécier le groove d’une section rythmique à toute épreuve. À signaler encore dans ce registre, l’aventureuse suite “Hope & Faith” (alternant avec bonheur les climats), ainsi que le lumineux “Stillwater” qui clôt en beauté les festivités. Le “Sign Of The Times” de Prince reçoit le traitement quasi-unplugged que lui imprime la présence murmurée de Mathis Haug (sans perdre pour autant la moindre once de son caractère chaloupé originel), tandis que Bob Stagg assure (outre les claviers) le chant sur le cool swing “Four Little Words”. Le deep Delta blues “Hummin'” s’avère un hommage sincère à James Cotton, Muddy Waters et Big Mama Thornton (tout en proposant un dialogue troublant entre une slide lugubre et le violoncelle d’Eric Longsworth). Un virtuose capable de privilégier le feeling à la démonstration stérile et un bluesman éclairé: vive le Québec libre!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, March 27th 2020