GREY DeLISLE – Borrowed

Regional records
Country, Folk
GREY DeLISLE - Borrowed

Si vous ne connaissez pas encore Grey DeLisle, il se peut toutefois que vos enfants, nièces, neveux ou petits-enfants vous aient précédés à leur insu. Non pas qu’Erin Grey Van Osbree (son état civil pré-marital) ait débuté en tant que chanteuse de comptines façon Chantal Goya, mais après son premier album solo (Small Time en l’an 2000), elle fut happée par le cinéma et la télévision en tant qu’experte du doublage vocal (discipline rémunératrice mais exigeante). Son vaste registre s’illustre ainsi sur près d’une trentaine de séries animées destinées au grand écran (dont une douzaine de “Scooby-Doo”, le reste se répartissant entre “Tom & Jerry”, “Popeye”, “Transformers”, “Batman” et autres “DC Comics Super Hero Girls”), ainsi qu’une bonne quinzaine de séries télé animées (depuis les “Simpsons” jusqu’à “Picsou”, “Invincible” et autres “Razmoket”)… Ayant également prêté sa voix à une bonne vingtaine de jeux vidéo (De “Star Wars” à “Tomb Raider”), on pourrait se demander quand elle trouva le temps d’enregistrer huit albums pour un public adulte jusqu’en 2008. Depuis lors, avec trois enfants à charge (issus de deux de ses trois mariages successifs), Miss Grey avait laissé sa carrière discographique en suspens, et c’est donc un plaisir de la ré-entendre pour son tout premier covers record (comme son titre l’indique). Elle n’y propose en effet que trois originaux, tout en adaptant à sa propre sauce ambient folk et country un répertoire aussi éclectique que parfois surprenant. Il n’est besoin pour s’en convaincre que d’écouter sa transposition du “Another Brick In The Wall” du Floyd qui ouvre le ban, ou encore celle du “Girl” qui ornait l’Electric Warrior de Marc Bolan aux tout débuts de T.Rex. Dans un climat crépusculaire, entre Moriarty et le Ry Cooder de “Paris, Texas”, cette première plage (avec cordes atmosphériques et mariachi fantômes) annonce la tonalité de l’ensemble. Magistralement produits par son complice Marvin Etzioni (qui officie tour à tour à la basse, à la guitare, aux percussions ou au mandocello – il s’agit d’un instrument, et non d’un digestif: le mandoloncelle est à la mandoline ce que le violoncelle est au violon), ces onze titres bénéficient en outre d’un casting de choix: Greg Leisz à la pedal steel, Mickey Raphael (harmoniciste de Willie Nelson), Murry Hammond (guitariste de Old 97s) et Tammy Rogers (des SteelDrivers) au violon ainsi qu’aux arrangements de cordes. Cinématographique au possible, leur ré-invention du pourtant éculé “Georgia On My Mind” de Hoagy Carmichael fait défiler des images de génériques tout en tirant des larmes. Qu’ajouter dès lors de la version du James Bond Theme “You Only Live Twice” (initialement interprété par Nancy Sinatra, ole Frankie’s girl), sinon que la reverb sur la surf guitar qu’y tient Casey Dolan, ainsi que les arrangements de cordes et cuivres qu’y assure Sasha Matson, en estampillent le millésime? Ne répugnant pas non plus à adopter les accents surannés du vaudeville à l’ancienne (la rengaine “Tonight You Belong To Me” qu’interprétait déjà Dottie West) ou du ragtime au temps de la Prohibition (sur le “Cavalry” de l’artiste gospel Marie Knight), elle tétanise littéralement l’auditeur avec la seule chanson qu’elle co-signe avec son producteur, “Borrowed & Blue”. De stricte obédience country (beat de canasson fourbu et pedal-steel larmoyante), sa performance vocale y tutoie les reines du genre, Emmylou Harris, Loretta Lynn, Patsy Cline et Dolly Parton. Où qu’ils se trouvent désormais, Jimmie Rodgers, Hank Williams et Gram Parsons ne peuvent manquer de lui porter un toast, tant le quasi-yodel avec lequel elle y admoneste son amant marié par ailleurs menace à tout instant de s’étrangler de rage et de sanglots rentrés. Signé Marvin Etzioni, “You Are The Light” aurait pu figurer sans problème au score du film “Into The Wild” (avec pour seul soutien instrumental la mandoline de son auteur et le violon de Tammy Rogers). Écrit par Murry Hammond, “Valentine” est le troisième original de cette collection, dans la veine folk que cultivaient à leurs débuts Dylan, Donovan et la regrettée Sandy Denny. Le “All My Tears” de Julie Miller se teinte quant à lui du bluegrass appalachien présidant à la bande originale du “O’ Brother” des Coen Brothers, avant que Miss DeLisle ne conclue sur sa reprise du “Willie We Have Missed You” de Stephen Forster (paru initialement en 2006 sur l’album choral en hommage à ce grand songwriter). Un disque touchant de sincérité et d’émotion: Grey, we have missed you too!

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, December 11th 2022

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