Jazz |
Comme Ibrahim Maalouf, Gregory Porter est un artiste crossover. Ce que l’on pourrait traduire par trans-genres, si le terme n’était en ces temps si connoté. Tandis qu’il se réclame (à juste titre) du jazz, nombre de jazzeux le considèrent comme un traître, tout juste bon à bâtardiser leur idiôme afin d’en faire son beurre. Ces obtus perdent juste de vue deux ou trois fondamentaux. Nat King Cole, Ray Charles, Santana et les Rolling Stones furent eux aussi des artistes crossover. Et là où les sectaires ne perçoivent que la vulgarisation à outrance de styles musicaux spécifiques, le musicologue averti reconnaît l’apport de ces passerelles, dont l’effet salvateur sur les véritables originateurs s’avère souvent louable. Muddy Waters et B.B. King n’ont ainsi eu de cesse de souligner l’impact bénéfique des Stones sur le blues et leurs carrières. Si Gregory Porter et ses hommes connaissent manifestement leurs Monk, Coltrane et Marcus Miller sur le bout des ongles, ils n’en célèbrent pas moins Marvin Gaye, Curtis Mayfield et Sly Stone dans un même élan. Et s’il s’avère tout aussi légitime pour reprendre le “Work Song” de Cannonball Adderley que le “Papa Was A Rolling Stone” des Temptations, Gregory Porter n’en véhicule pas moins l’éternel message émancipateur que professaient ses modèles, Bill Withers et le regretté Donny Hathaway. Bien que révélé depuis peu, l’homme n’est pas tombé de la dernière pluie.
Ce concert, capté à la Philarmonie de Berlin en mai dernier, le confirme en authentique phénomène: un géant sensible, entouré d’un quartet de spadassins tout à sa mesure. Une débauche de feeling et de virtuosité croisée, comme on n’en avait plus guère connu depuis Van Morrison en 1971. L’année de naissance de Gregory Porter.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder