Americana, Bluegrass |

Si vous vous souvenez de Country Joe McDonald, des Holy Modal Rounders et de Arlo Guthrie (ou, plus près de nous, de John Mellencamp, Guy Forsyth et Jeffrey Lewis), voici un nouvel impétrant au même club. Un autre de ces folkies dûment élevés au grain (fusse-t-il fermenté), mais autant férus d’orthodoxie des Rocky Mountains que de radicalisme anti-libéral. Comme en témoigne ici “Lefties”, Gordie Tentrees ne s’est pas attelé à l’apprentissage du banjo et du dobro pour garder sa langue dans sa poche. Et pourquoi donc l’aurait-il fait? Rejeton d’un couple désuni de l’Ontario et élevé sur une ferme agricole, il sublima une partie de ses angoisses adolescentes en remportant quelques championnats de boxe, avant d’embrasser les carrières successives d’instituteur et d’éducateur de rue. Émigré ensuite dans le rude État du Yukon, il commença à y tâter de la musique en amateur, pour finir par se rallier une cohorte croissante de fans (incluant tout de même des pointures telles que Mary Gauthier ou Kelly Joe Phelps), tous subjugués par sa faconde “straight in your face”. Sur son huitième album à ce jour, “Danke” traite ainsi avec humour (et en mode bluegrass) de ses pérégrinations européennes, tandis que la plage titulaire s’adresse à la masse des outcasts qui constituent de nos jours la majorité de la société amerloque, et que ‘”Every Child” brandit un droit d’honneur magistral à tous les intégristes façon Manif Pour Tous (message personnel au passage: commencez donc par faire le ménage dans vos presbytères, bande de crétins consanguins). Sur un country saddle beat enlevé, “Far Away Friends” envoie un clin d’œil appuyé aux fans et supporters qu’il croise lors de ses tournées, et l’instant-classic “Train Is Gone” aborde la question cruciale de notre mortalité. Le trépidant “Rosetta” renvoie au “If You’re Ever in Oklahoma” de J.J. Cale (avec le tricot bienvenu de Bob Hamilton à la mandoline, à la basse et à l’archtop guitar), et entre Skip James et Son House, “Twice As Nice” revisite le muddy Delta Blues à l’excavateur, pour déboucher sur le Dylan de “Rainy Day Women n°12 & 35”. En conclusion, “Ring Speed” évoque en mode jug band les souvenirs de boxe d’un gars qui ne consentit jamais à se coucher devant aucun adversaire. Un disque qui pourrait bien par contre vous envoyer au tapis.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, October 11th 2021
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GORDIE TENTREES – Mean Old World: un album à commander sur le Bandcamp de l’artiste, ICI
Disponible en CD et en vinyle