Jazz Fusion, Rock |
Depuis qu’il est apparu au grand public en tant que découvreur et mentor du regretté Jeff Buckley, le guitariste Gary Lucas a dépassé le statut de musicien culte pour atteindre celui de légende vivante. Mais plutôt que de se reposer sur ses lauriers, cet infatigable activiste n’a cessé de développer une versatilité dont bien peu de ses camarades de promotion se sont montrés capables. Pour preuve, n’anime-t-il pas depuis les débuts de la pandémie actuelle (et des confinements qui en découlent) un programme sur Facebook où il diffuse ses propres lives et inédits? Avec plus d’une trentaine d’albums à son actif, et un palmarès alignant des collaborations avec (outre Captain Beefheart et Jeff Buckley) le maître Leonard Bernstein, mais aussi Lou Reed, John Cale, Nick Cave, Kevin Coyne, John Zorn, Alan Vega, Peter Hammill, Chris Cornell et Warren Haynes (to name a few…), ce natif de Syracuse (État de New-York) n’a eu que l’embarras du choix pour dresser cette anthologie en 36 titres méticuleusement choisis. Le premier CD est constitué de 17 sélections du groupe Gods & Monsters, qu’il assembla après sa participation au Magic Band de Beefheart (auprès duquel il avait œuvré cinq ans, et enregistré deux albums). Le fulgurant picking de son “Fata Morgana” d’ouverture laissera déjà des cohortes d’apprentis guitaristes sur le flanc (voire nombre de confirmés aussi, par la même occasion). Une bonne moitié de ces plages proviennent des albums “The Ordeal Of Civility” et “Coming Clean”. Sur “Coming Clean”, Skin Diving” et l’instrumental “King Strong” (qui cite brièvement les Allman Brothers), l’acide fluidité de son jeu électrique rejoint celle de grands stylistes psychédéliques comme Jerry Garcia et John Cippolina, tandis que l’éruptif “Let’s Go Swimming” présente une partie de basse à réveiller Stanley Clarke en personne. On signalera la présence du jubilatoire David Johansen (désormais ultime rescapé des New York Dolls) sur “One Man’s Meat”, où le solo de Lucas rejoint ces stratosphères où voguent John Zorn et Vernon Reid (tout comme sur le survolté “Whip Named Lash”). La démo initiale du “Grace” que co-écrivirent Lucas et Jeff Buckley (avec ce dernier au chant, à la seconde guitare et à l’harmonica) illustre furtivement la fructueuse collaboration qu’avaient initiée ces deux géants. Il n’est que temps de préciser qu’en dépit de ses fulgurants talents d’instrumentiste, Gary Lucas ne se résume pas à un stupéfiant technicien, mais qu’il s’avère en outre un remarquable mélodiste et compositeur, comme en témoignent ici les splendides “Lady Of Shalott” et “Follow Me”. Le second CD retrace sa carrière solo, ainsi que certaines de ses collaborations avec d’autres artistes. S’ouvrant sur l’adaptation en Mandarin du “All Along The Watchtower” de Dylan, il illustre le penchant singulier de Gary pour la pop de Shangaï (“The Wall”, “The Moon Represents My Heart”, avec la vocaliste chinoise Feifei Yang). On y trouve aussi le cuivré et chaloupé “Out From Under”, avec Haydee et Suylen Milanes et Los Van Van, dans la veine louisianaise de Little Feat et des Neville Brothers, ou encore la cover du “Her Eyes Are A Blue Million Eyes” de Beefheart avec Nona Hendryx, ainsi que quelques rares versions live de ses propres efforts en solo (“Flavor Bud Living”, issu de son album “Dust Sucker”, ou encore les instrumentaux “Evening Bell”, initialement paru sur le “Icecream For Crow” du Captain, et l’hallucinant “Bra Joe From Kilimandjaro”). De prouesses de picking acoustique telles que “Fool’s Cap” (le “Little Martha” de Duane Allman at double-speed !) et “Will ‘O The Wisp”, en country-blues acoustique instrumental façon Ry Cooder circa “Paris Texas” (“Guanguanco”), et d’adaptations de thèmes classiques tels que l’Allegro n° 15 “On An Overgrown Path” de Janacek, ou le “Largo” de la “Symphonie Du Nouveau Monde” de Dvorak à la transciption en hindi du “That’s The Way” de Led Zep (“Rishte”, avec la chanteuse indienne Najma Akhtar) ou encore la bande son qu’il exécuta en direct pour accompagner la projection à L.A. du film muet “The Golem”, Lucas déploie ici toute l’étendue de sa palette. Pour tenter de décrire son jeu, il faut imaginer la versatilité d’un Richard Thompson alliée à celle d’un Jorma Kaukonen, servies par la virtuosité inspirée de stylistes tels que Leo Kottke, Adrian Belew et Larry Coryell, le tout dans un contexte à la fois New-Yorkais, expérimental et pan-culturel… Autant dire que pour s’en faire une idée concrète, rien ne surpasse l’écoute! Une compilation effectivement essentielle, où se côtoient morceaux de bravoure, incunables et inédits, et le compagnon idéal du désormais recherché “Songs To No One 1991-1992” (regroupant onze inédits, lives et démos captés avec Buckley avant son propre “Grace”). Si vous considériez jusqu’alors Mark Knopfler, Joe Bonamassa ou Joe Satriani comme des parangons de la dextérité guitaristique moderne, vous risquez fort de réévaluer votre jugement.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, April 18th 2021
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“KING STRONG” — GARY LUCAS & GODS AND MONSTERS: