GARRETT SARACHO – Jazz Is Dead 015

Jazz is Dead / I See Colors
Funk, Latin Jazz
GARRETT SARACHO - Jazz Is Dead 015

À force d’en sampler compulsivement la substantifique moelle, le producteur, compositeur et multi-instrumentiste Adrian Younge et son complice Ali Shaheed Muhammad (A Tribe Called Quest) se sont tellement imprégnés de l’ADN du soul-jazz des seventies qu’ils parviennent à en restituer de nos jours un prolongement des plus crédibles. Leur série Jazz Is Dead convie ainsi à chacune de ses parutions un invité différent, parmi leurs héros musicaux de cette période dorée. Après Roy Ayers, Gary Bartz, Doug Carn, Marcos Valle, Joao Donato, Azymuth, Brian Jackson, Henry Franklin et le regretté Tony Allen, c’est à une figure largement méconnue de l’underground angeleno qu’ils consacrent leur quinzième parution. Car c’est à une saga digne de la quête de Sixto Rodriguez (cf. le film “Searching For Sugarman”) que s’apparente leur redécouverte de Garrett Saracho. Cousin de certains membres du groupe iconique de la communauté Native-Americans, Redbone (“The Witch Queen Of New-Orleans”, quelqu’un?), le jeune Garrett commença par se produire au vibraphone, dès la fin des sixties, au sein de la scène jazz bourgeonnante du district de Watts (alors célèbre pour ses émeutes raciales), tout en poursuivant des études de cinéma à la fameuse UCLA que fréquentèrent avant lui Ray Manzarek et Jim Morrison. Repéré par le mythique label Impulse, il y signa en 1973 un album unique (dans tous les sens du terme), “En Medio”, sous le nom de Gary Saracho. Conjuguant spiritual jazz, funk et latin soul, cette pépite n’en passa pas moins sous les radars, pour demeurer oubliée de tous, à l’exception d’une poignée de connaisseurs. Devenu pianiste sans contrat, Garrett grenouilla des années durant dans l’ombre des plateaux de cinéma à y construire des décors, pour finir en tant que monteur sur quelques longs métrages à succès. Bien qu’ayant discrètement effectué de sporadiques tournées avec une version revampée de Redbone, Saracho croyait sa carrière de musicien terminée, quand une nouvelle génération de fans de jazz se prit soudain de passion pour son “En Medio”. Younge et Muhammad n’eurent pas trop de difficultés à le retrouver, ni à le persuader de les rejoindre en studio pour l’album que voici, son second en un demi-siècle. S’ouvrant sur le rythme de bossa effrénée de “Sabor Del Ritmo”, il propose, autour de Younge (qui y officie à la basse, ainsi qu’aux guitares électriques et acoustiques, au marimba et au sax alto) et du piano de Saracho, une section de huit cuivres. Le climat typique des B.O. des seventies (le trépidant “Trucha”) est renforcé de cordes sur l’aérien “White Buffalo”. Le jeu romantique de Saracho exprime son suc latino au fil du suave et chaloupé “The Gardens” (où s’illustrent également la flûte de Scott Mayo, ainsi que les saxes respectifs de Philip Wack, Jaman Laws, Davis Urquidi et Jacob Scesney). Le funky “73” (en référence probable à l’année de parution de “En Medio”) fait la part belle au marimba et aux percussions, tandis que Younge y assure, outre une basse hypnotique, la guitare psychédélique, le sitar électrique et le vibraphone, et qu’Ali Shaheed Muhammad y tient le synthétiseur. “El Cambio Es Necesario” (titre dont la traduction est aisée) alterne les tourneries brésiliennes et afro-cubaines selon le registre cuivré et urbain présidant à cette production, qui se conclut sur un “Calo” du même cru. Un disque événement, dressant un pont d’une fraîcheur inespérée entre deux époques.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, October 27th 2022

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Garrett Saracho se produira en concert gratuit le 26 novembre prochain au Lodge Room de Los Angeles, pour le cinquième anniversaire de Jazz Is Dead, et y interprétera l’intégralité de son album “En Medio”. Réservation indispensable.