| Blues, Soul |
La plage d’ouverture, “Give me Some Time”, sonne comme si Elmore James et Duane Allman jammaient au fond d’un rade d’Austin. Ce Texas double-shuffle typiquement sudiste, et renforcé par un pounding piano, est en effet assaisonné d’une des plus vicieuses et incendiaires slides électriques sur le marché, tandis que “Let it Go” bénéficie de l’apport crucial des Texas Horns de Kaz Kazanoff (soit, outre le sax ténor ce dernier, la trompette d’Al Gomez et le sax baryton de John Mills) et du Hammond B3 auquel officie Taylor Streiff, et que les funky “No Time For Me” et “No Peace For A Soldier” rappellent de quel groove se chauffait Double Trouble, la section rythmique d’un certain SRV natif des environs. Dès lors, on se pose pour mesurer à quel client on a affaire. En dépit de son jeune âge, ce garçon cumule manifestement les atouts: guitariste à la technique, à la maîtrise du son et au feeling impressionnants, il s’assortit en effet d’un chanteur au registre soul des plus convaincants, ainsi que d’un compositeur à la personnalité déjà affirmée. Il suffit de considérer son CV pour apprécier son parcours: originaire de Williamson en Pennsylvanie, il sortit diplômé en 2015 de la Berklee School Of Music de Boston, pour y fonder son propre trio. Finaliste de la 35ème édition de l’International Blues Challenge de Memphis, puis lauréat du prestigieux Gibson Guitar Award, son premier essai autoproduit, “The Grind”, reçut un encourageant accueil critique, et il enregistra son second, “Flying High”, entouré des légendaires Nighthawks de Mark Wenner. Désormais signé sur le prestigieux label que dirige Richard Rosenblatt, il se présente cette fois sous la houlette du non moins mythique Anson Funderburgh, qui s’invite en outre, aux côtés de l’impériale Sue Foley sur le lazy swamp Jimmy Reed shuffle “No Matter What You Will”, et l’on se croirait soudain téléporté au bon vieux temps d’Antone’s, quand les frangins Vaughan y backaient Lou Ann Barton au sein des Cobras. Et tant qu’à évoquer cette période bénie qui vit éclore les Fabulous Thunderbids, Mike Morgan & The Crawl et autres Anson Funderburgh & the Rockets, l’instrumental “Susquehanna 66” (avec l’harmo chromatique et acrobatique de Greg Izor) ressuscite ces duels swing auxquels se livraient Kim Wilson et Jimmie Vaughan, ou encore le regretté Lee McBee et Mike Morgan. Versant dans la soul des early sixties, la plage titulaire et “Heartbreak Makes A Sound” sonnent comme du Sam Cooke backé par les Texas Horns et Jimmie Vaughan, et le délicatement chaloupé “Alabama Wildflowers” exhale un irrésistible tex-mex southern feel cotonneux. Sur un riff façon Howlin’ Wolf, le trépidant “Ain’t Gonna Change” offre à Gabe l’opportunité de deux décoiffants soli, bien dans la veine d’Hubert Sumlin, tandis que le piano de Streiff en fait autant avec l’esprit de Henry Gray. Avec son mid-tempo pesant, “Out Of Time” est sans doute, grâce de nouveau à l’apport décisif des cuivres, l’une des plages les plus réminiscentes de feu “Texas Flood” SRV, tant la guitare en assume l’héritage avec panache. Les covers du “I’ll Take Care Of You” de Brook Benton (avec une imparable partie de Streiff au Wurlizer) et du “Friend Of Mine” de Bill Withers (cuivres et chœurs à l’appui) témoignent de l’ancrage vintage R&B de Gabe Stillman, qui se fend tout de même ici de 13 originaux exclusivement de sa plume. Entre Springsteen, John Mellencamp et Tom Petty, “Don’t Go Cold” lui permet en outre de démontrer ses talents à la pedal-steel, tandis que le spoken sung “See BT Blues” rappellera au mieux avertis les blues-raps du regretté Gashouse Dave. Véritable master-stroke, cet album sans faiblesses témoigne de l’irruption d’un artiste majeur dans notre paysage blues renouvelé: un nouveau venu ayant manifestement potassé son sujet, et sans aucun doute destiné à une prometteuse carrière.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, August 14th 2021
Site internet de l’artiste ICI
GABE STILLMAN BAND • JUST SAY THE WORD • NY STATE BLUES FEST • SYRACUSE, NY 6.24.21:
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