FRASIAK – Mon Béranger 2

Crocodile Productions
Chanson rock
FRASIAK - Mon Béranger 2

“Mon Béranger”… Dix-sept ans après la disparition de ce dernier, on est sans doute encore nombreux à vouloir revendiquer chacun le sien. Moi qui vous cause, par exemple, je l’ai découvert chez mon ami Simon Goldberg à Bruxelles, un soir de septembre 75, tandis que j’étais en fugue de chez mes vieux. L’album s’intitulait “Le Monde Bouge”, et pour moi (alors plutôt fan des Who et de Deep Purple), la chanson folk française alternative se résumait alors à ces barbus en chandails côtelés, qui bavassaient en tétant péremptoirement leur pipe d’Amsterdamer. “No fun at all, alright”, comme le beuglaient alors les Modern Lovers… Deux ans plus, tard, tandis que j’y partageais un stand de fanzineux avec le très regretté Charlie Schlingo, j’ai saisi la fin d’un set du Père François lors de la Fête des Jeunesses Communistes à Ivry. Je me rappelle encore l’odeur de patchouli, tandis que flanqué d’Alarcen et de ses sbires, Béranger y faisait entonner par la foule son “Comme on a tous les mêmes choses sur le cœur, un jour on pourrait chanter rancœur”… J’étais encore trop jeune pour tout piger, et le message de Dr. Feelgood (qui les suivait alors sur le car-podium) me parut alors bien plus direct et sans appel. Je devais revoir Béranger, Alarcen, Cohen, Bonnet et Arini trois ans plus tard, au Palais des Grottes de Cambrai, et je me souviens y avoir pris l’une des plus belles claques que m’ait jamais infligées un guitariste électrique, toutes nationalités confondues. Jean-Pierre Alarcen n’usurpait pas son patronyme, et la combinaison des textes de Béranger avec la puissance de son band d’alors eut raison de mes réserves à l’encontre du rock en français. À peu près à la même époque (et tandis qu’un certain Renaud Séchan, de 17 ans son cadet, remportait un succès populaire conséquent après lui avoir emprunté, outre sa gouaille, une bonne part de son style), dans les Ardennes françaises, un minot débutait sans fracas une carrière qui le mènerait, en trois bonnes décennies, à publier dix albums (dont deux live), et à effectuer près d’un millier de concerts tout en récoltant une quinzaine de prix divers et variés (du public, de la Sacem, voire de la Chanson de Café!). Ce gamin, c’était Éric Frasiak, et depuis son chef-lieu de la Meuse, il n’a cessé toutes ces années durant de rendre à César ce qu’il devait à Béranger. Déjà coupable d’un premier CD d’adaptations de ce dernier (en 2014), il remet à présent le couvert, en reprenant 17 autres titres issus du répertoire de l’auteur de “Tranche De Vie”. Au temps des Gilets Jaunes et des derniers mouvements alternos et écolos en vogue, et tandis que les libertaires poursuivent sans relâche leur opiniâtre combat souterrain du libéralisme jacobin, ces couplets confirment leur persistante actualité. En cette période de flou idéologique délibéré, le brûlot “Magouille Blues” conserve ainsi toute l’acerbe pertinence qu’il revêtait déjà au temps de Giscard, et même en remontant à ses toutes premières ritournelles (“Dis Moi Oui” et “Plus Je Me Pose De Questions” de 1969), l’ensemble transpire une confondante contemporanité, accentuée par une instrumentation constamment fidèle aux arrangements initiaux (pedal-steel, piano, cuivres et accordéon s’y mariant aux guitares électriques que se répartissent Éric Frasiak et Jean-Pierre Fara). Il faut dire que comme son modèle en son temps, Frasiak a su s’entourer ici d’un gang de musiciens aussi sensibles qu’expérimentés, au point que l’on jurerait presque par moments ouïr des prises alternatives des originaux (voix incluse!). Hormis les albums de l’intéressé (hélas plus tous disponibles), voici donc sans doute la meilleure occasion de découvrir (ou redécouvrir) la verve anarcho-atrabilaire de l’un des meilleurs chroniqueurs de notre temps (faîtes donc écouter au passage “Nous Sommes Un Cas” à ce vendu de Manu Chao). Quant au François Béranger en question, il est mort droit dans ses bottes, d’un cancer à 66 balais. Lui au moins (bien qu’il ne l’ait jamais chanté en des termes aussi naïfs), la société ne l’aura pas eu… À moins que l’on ne considère que le crabe et la société, ce soit un peu la même chose? Au fond de son cœur, nous sommes en tout cas quelques uns à croire qu’il ne répugnait effectivement pas à le penser.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, November 8th 2020

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