FORREST McDONALD – Blues In A Bucket

World Talent Records
Blues-Rock
FORREST McDONALD

Originaire de Boston, Massachussets, Forrest McDonald est un guitariste émérite, dont le parcours (bien que s’étalant sur plus d’un demi-siècle) est demeuré relativement confidentiel de ce côté-ci de l’Atlantique. C’est que ce brave Forrest a surtout exercé son art en tant que session man, en dépit d’une activité parallèle au sein de groupes plutôt discrets. Mais l’on peut toutefois mesurer la haute estime dans laquelle le tient le music-biz américain, au regard de son palmarès: c’est son solo fugurant qui orne le hit de Bob Seger “Old Time Rock n’ Roll” (enregistré aux fameux studios de Muscle Shoals, et repris ensuite par notre Johnny national), mais son CV mentionne aussi des enregistrements et tournées auprès de John Lee Hooker, Charlie Musselwhite, Roy Gaines, Bob Margolin, Bobby “Blue” Bland, Luther Tucker, Debbie Davies, Bonnie Bramlett, Bobby Womack et Jerry Lee Lewis (entre autres). Forrest McDonald forma également 35 ans durant un fameux partenariat avec le pianiste Raymond Victor, mais ces accaparantes activités ne l’empéchèrent pas d’enregistrer quinze albums sous sa propre identité (et sur son propre label, le bien nommé World Talent). Ce disque-ci revêt à ses yeux un caractère singulier, puisqu’il paraît l’année de son 70ème anniversaire, et couronne pas moins de 53 ans de carrière. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le blues et le rock conservent, comme le démontre la plage d’ouverture, “Boogie Me Till I Drop” (qu’il co-signe avec son vieux complice Raymond Victor). Ce second-line beat néo-orléanais aussi, cuivré que chaloupé, n’aurait en effet pas déparé la discographie de Dr. John ou John Mooney. Si ma tante en avait, on l’appellerait mon oncle, et si Forrest McDonald avait su chanter, il n’aurait pas eu besoin d’engager Andrew Black pour le faire à sa place. Mais cela s’avère un choix judicieux, puisque le lascar se révèle un puissant soul shouter, comme le confirme ipso-facto le terrassant “Blues In The Basement”. Avec l’orgue de Tony Carey et les cuivres en sous-main, on croirait en effet découvrir un inédit du Butterfield Blues Band post-Bloomfield! La plage titulaire propose un break quasi-skynyrdienn, avec un solo de six cordes stratosphérique. On comprend mieux dès lors quel plaisir des pieds-tendres tels que Johnny Winter, Jeff Beck ou Eddie Van Halen ont pu éprouver à échanger avec Forrest McDonald. Évoquant la perte récente de son frère (décédé du crabe), “Blue Morning Sun” rappelle le Canned Heat des débuts, avec sa slide lugubre, son Chicago beat, son pont californien et ses choruses de guitare proprement bouleversants. Les poils encore au garde à vous, on se coltine ensuite les slow-shuffles “Hard To Lose”, “Windy City Blues” et “Misery And Blues”, façon deuxième effet Kiss-Cool. Cuivres et orgue y reprennent magistralement du service, et la Gibson du patron y administre les estocades fatales: plus Butterfield, tu te suicides (d’autant que l’harmoniciste présent, Pix Ensign, semble bien l’avoir biberonné à la source)… Après trois chefs-d’œuvre consécutifs, on aurait pu espérer un répit, mais ce diable de Forrest n’y semble pas disposé, et nous assène le funky-gospel “Go To The Light” (avec vintage soul beat et chœurs féminins de rigueur). Faut-il préciser que le solo de guitare devrait y être présenté dans ces écoles de musique qui prolifèrent, afin de démontrer aux aspirants que le feeling ne s’enseigne pas? Éructé par l’imparable Becky Wright, “Powerhouse” reprend les choses là où Cream les avait laissées avec sa version de “Spoonful”: harmonica possédé, beat à contretemps et hoodoo à tous les étages, Lord, have mercy! La pause intervient avec le funky “Going Back To Memphis”, et ses arrangements numériques se mêlant aux cuivres organiques, avant que “Let The Love In Your Heart” ne boucle l’affaire sur le même beat louisianais qui l’avait introduite, en proposant les deux vocalistes à l’unisson, ainsi que des cuivres et un harmonica décidément en verve. Un album d’apparence inoffensive, mais qui s’avère de fait l’une des tueries les plus impressionnantes de cette année qui s’ouvre pourtant à peine!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, January 11th 2020