FEMI AND MADE KUTI – Legacy+: Stop The Hate/ For(e)ward

Partisan Records / PIAS
Afrobeat
FEMI AND MADE KUTI

Afro Beat. Comme punk, glam et krautrock, l’appellation est quasiment devenue de nos jours une forme d’excipient destiné à édulcorer n’importe quelle couleuvre. Mais comme le punk et le krautrock, l’Afro Beat ne peut se départir de ses propres racines, tout aussi immarescibles que le demeure l’huile dans l’eau. Comme l’avaient bien compris feu Ginger Baker et Damon Albarn, si tu cherches la source, il te faut remonter la rivière, et à présent que l’immense Tony Allen est parti rejoindre son ex-patron Fela dans le grand Shrine d’où l’on ne revient pas, où donc se trouve-t-elle encore de nos jours, la source de l’Afro Beat? Tout légitimes et sincères qu’ils puissent effectivement s’avérer, ce n’est ni à New-York (chez Antibalas), ni même à Londres (où la nouvelle jeune scène jazz s’en revendique plus que jamais) que réside le substrat fondateur de ce courant désormais transcontinental. Légataire désigné de Fela, son fils aîné Femi (qui commença par accompagner son père au saxophone au sein d’Egypt 80) forma son propre orchestre, Positive Force, au mitan des eighties (où son propre fils Made le rejoignit à son tour). Il faut mesurer que la dynastie musicale des Kuti remonte désormais à sept générations (à l’arrière-arrière grand père, au grand père et au père de Fela), mais c’est bien l’aura d’Anikulapo Ransome Kuti qui demeure la plus prégnante parmi ses descendants. Au lieu de se contenter de capitaliser mollement sur l’héritage de leur patriarche, ses fils Femi, Seun et Yeni continuent d’en perpétuer l’évolution, et cette lignée se poursuit désormais au fil de métissages avec la scène electro-jazz anglaise, via Made, fils de Femi. Multi-instrumentiste, ce dernier a étudié au Trinity College londonien, comme son grand-père Fela auparavant. Tout en demeurant connecté à la culture de sa lignée, Made a intégré nombre d’éléments de cette modernité au contact de la bourgeonnante scène locale, et cet album en porte fièrement la trace. Cuivres d’ascendance cubaine semblables à ceux de Kokoroko et Nubya Garcia (“Different Streets”, “Hymn”), saxophone réminiscent de musiciens contemporains tels que Nat Birchall (“Young Lady”) et constante ferveur rythmique se mâtinent ici de la verve de son compatriote trompettiste Etuk Ubong (“We Are Strong”), voire de références au regretté voisin camerounais Manu Dibango (“Free Your Mind”). Son père Femi, initié minot aux secrets de cette musique sans être pour autant passé par le moindre apprentissage théorique, prolonge avec cet album (son onzième) une approche plus orthodoxe (mais non moins sensuelle) de la tradition familiale. Depuis l’afro beat caractéristique de “Pà Pà Pà” jusqu’au high-life éperdu de “Stop The Hate”, le caractère à la fois cathartique et incantatoire de l’art du Black President se perpétue ici jusqu’à la transe. Père et fils partagent en outre le même esprit militant, Made déplorant le racisme et la violence ambiants dans “Blood”, tandis que via “As We Struggle Everyday”, “You Can’t Fight Corruption With Corruption”, “Land Grab”, “Show Of Shame” et “Privatisation”, Femi Kuti reprend fièrement le flambeau revendicatif de son père, pour continuer à dénoncer la situation sociale et politique du Nigeria. “C’est une joie immense de voir mon fils s’exprimer artistiquement de cette manière. Peut-on imaginer bonheur plus grand dans la vie d’un père?” déclare Femi, enthousiaste à la parution conjointe de ces deux albums. Réalise-t-il également le plaisir qu’en aurait conçu son propre géniteur? Magistral et jubilatoire de bout en bout.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, February 12th 2021