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Même si l’on ne doit jamais évoquer l’âge d’une dame, la grande Fairouz approchait déjà la cinquantaine quand elle enregistra ce classique légendaire. Ayant depuis fait l’objet d’une recherche assidue de la part des connaisseurs et des collectionneurs, celui-ci acheva en effet un tournant majeur dans son parcours artistique. De son vrai nom Nouhad Haddad, cette Libanaise avait débuté sa carrière dans les années 50, sous la houlette des frères Ellas et Assi Rahbani, qui écrivirent et arrangèrent nombre de ses plus grands succès. Ayant épousé l’un d’entre eux, leur collaboration généra, jusqu’à la fin des années 70, une abondante production, tant discographique que théâtrale, cinématographique et télévisuelle. Son mari s’étant trouvé victime d’un sévère AVC, c’est leur fils Ziad qui assura ensuite la direction artistique de sa mère. Lui ayant offert son premier tube en 1973 (alors qu’il n’avait pas 18 ans), il produisit en 1979 l’album “Wahdon” (également réédité l’an dernier par WeWantSounds). Objet de controverse, ce LP choqua une partie du public de la diva. Habitué aux textes romantiques des frères Rahbani, celui-ci fut en effet troublé par ceux de Ziad, plus crus et osés, ainsi que par son humour acerbe et la liberté de ses thêmes (notamment l’adultère). L’irruption d’arrangements modernes (funk, disco et jazz) ne fit rien non plus pour apaiser les intégristes. D’évolution, il fut encore question lors de cette seconde livraison du couple mère-fils: le swing jazzy du “Khaleek Bil Belt” introductif suscite en effet la troublante impression d’écouter Diana Krall chanter en arabe, tandis que le rythme bossa de “Version I” et “Version II” en fait autant pour Astrud Gilberto. Les somptueux arrangements du rejeton tutoient souvent ici ceux de Jean-Claude Vannier pour le “Melody Nelson” de Gainsbourg (“Ouverture 83”, “Reprise (83)” ou la plage titulaire). Il faut attendre “Rah Nibka Sawa”, “Antoura”, Oudak Rannan” et le languide “Ma Kdirt Nseet” pour entendre Fairouz renouer avec le registre traditionnel qui en fit la seconde star du monde arabe (après l’indépassable Oum Kalsoum). Ode passionnée (et librement adaptée du “Concerto de Aranjuez” de Joaquin Rodrigo) à la capitale du Liban (où fut enregistré cet album), “Li Beirut” s’avère l’une des plus poignantes réussites de cette égérie, alors en pleine reconquête de sa liberté artistique. Un disque bouleversant, au statut de chef d’œuvre méconnu non usurpé.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, June 1st 2020
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Le savez-vous? FAIROUZ signifie “turquoise”, en arabe.
FAIROUZ – “LE BEIRUT” (extrait de l’album “Khalleek Be El Bait”), sur Youtube: ICI