ÉROL JOSUÉ – Pelerinaj

Geomuse / Absilone
Ethno-Jazz
ÉROL JOSUÉ - Pelerinaj

Terre où coexistent une nature aussi luxuriante que sans merci et le dénuement le plus extrême (tandis que s’y manifestent, de nos jours encore, les séquelles de la déportation, de l’esclavage et de la colonisation), Haïti s’est révélé au fil des siècles un bouillonnant creuset culturel, où s’expriment, dans une fondamentale créolité, racines africaines et rites amérindiens. À la fois prêtre vaudou, comédien, chanteur, danseur et chorégraphe, Érol Josué y fut promu Directeur Général du Bureau National d’Ethnologie. À ce titre, ce personnage hors du commun s’attache à promouvoir et préserver le patrimoine immatériel de son pays. Constamment ballotté entre son Port-au-Prince d’attache et New-York, il perpétue, avec son premier album en près de quinze ans, une synthèse funambulesque entre sa culture vernaculaire (“Kafou”, “Mitolo”, “Avelekete” “Sim Goute W” ou le bouleversant “Pèlerinaj Fla Vodou”) et les rythmes et sons de la scène électro-jazz (“Gede Nibo”, “Olisha Badji”, avec le saxophone de Jacques Schwarz-Bart). S’ouvrant sur le choral et incantatoire “Badji” (figurant la diffusion de la culture amérindienne parmi les captifs amenés d’Afrique), ce périple initiatique se poursuit via l’hypnotique “Je Suis Grand Nèg” et l’envoûtant “Erzulie”. Sans surprise, on y retrouve les échos frippiens du guitariste Jean-François Pauvros (entre éclats bruitistes et hululements de sustain), sous le feu roulant de percus reptiliennes. Le temps de frémir au souvenir du Roi Lézard, et les house-beats de “Rèn Sobo A” surviennent à point nommé pour appuyer les mélopées du cru. Mobilisant la riche tradition locale de chant choral et de percussions, Érol prône la résistance et la résilience face aux croyances exogènes (“Sigbo Lisa”, “Palave Maria”), tout en célébrant les divinités locales (“Chango” ou “Ati Sole”, sur le piano alerte de Tony Tixier). Qu’il s’agisse ici de vaudou ou de beats électroniques, un album qui élève la transe jusqu’au seuil de la connaissance, l’œuvre fascinante d’un shaman. Scène de crimes contre l’humanité, les Caraïbes n’ont pas fini de hanter la mauvaise conscience de l’occident. Sans rancœur excessive, Érol Josué n’en préfère pas moins tenter d’exorciser les démons, plutôt que de proposer un servile oncletomisme touristique. L’expérience s’avère cathartique: on en sort bousculé… pour le meilleur.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 21st 2021

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C’est un artiste complet que l’on écoute sur cet album! Danseur, chorégraphe, compositeur, comédien, Érol Josué chante également en invoquant les croyances et les rites du Vaudou. Il faut dire qu’il se situe précisément au carrefour entre le présent désacralisé (il est régulièrement à New York) et le présent d’aujourd’hui en Haïti où le culte vaudou est toujours présent et exerce une puissance prégnante, particulièrement chez les anciens et dans les campagnes. Il faut dire que son poste de Directeur Général du Bureau National d’Ethnologie d’Haïti (octobre 201) lui confère un rôle à jouer comme passeur de messages et transmetteur de traditions. La réécriture des chants vaudous, ses mélopées intimistes et autres surprises de conteur-amateur de chansons françaises remplissent idéalement les sillons de l’album. Personnalité mosaïque et perpétuellement renouvelée au gré de ses migrations, il se dit habituellement que sa fonction de fédérateur du patrimoine immatériel du Vaudou est loin d’être antagoniste avec ses prestations scéniques. “Au contraire, elle la nourrit, en sérénité et en intelligence, de manière singulière, avec humour et organicité.”
Le disque conçu comme laboratoire musical initiatique n’est-il pas le point de départ des chorégraphies à venir? Pelerinaj s’exprime en réalité simultanément sous deux formes différentes: un livre, Editions CorrectPro, et un disque que nous écoutons, en ce moment.
Érol Josué a composé la musique et écrit les paroles des chansons. Il chante en créole, et parfois en français. Sous chacun des titres figurent: la liste des participants à l’arrangement musical, l’arrangement vocal, les chorales invitées, ainsi que la liste des instruments sollicités et le nom des artistes qui les utilisent. Ainsi qu’un paragraphe explicitant la génèse de chacun des titres!
Érol Josué appelle les esprits d’Haïti en une version transgressée et particulièrement radicale, grâce notamment à l’apport des guitares saturées et minimalistes d’un improvisateur historique: Jean-François Pauvros (participation Moebius, Siegfried Kessler, Arto Lindsay, et de nombreuses musiques de film). A ses côtés, Jorge Bezerra (multi-percussionniste qui s’est fait connaître auprès de Joe Zawinul) est “cousin” – en terme de syncrétisme – puisqu’initié au candomblé brésilien, et les swingants Arthur Simonini (violon et clavier entendu auprès de Bibi Tanga) et le percusioniste haïtien issu du cercle vodou, Claude Saturne. Auxquels il faut ajouter Daniel Bernard Roumain au violon, Frank Nelson à la basse, Dener Ceide à la guitare…. et j’en oublie… Les titres ont été enregistrés en Floride, à Paris, en Haïti, dans le New Jersey, à New York. C’est tout simplement superbe! Érol Josué interprète les titres de cet album-concept comme s’il était possédé par cette force et cette puissance qu’attribue le Vaudoo à ses fidèles adeptes. Quand on connait cette île, sa population et son histoire, Première République Noire, en 1804, on ne peut qu’être emporté, envouté, possédé et hypnotisé par cet album exceptionnel. La création de cette oeuvre a pris 14 années à l’auteur et nous sommes prêts à attendre un laps de temps identique si cela doit aboutir à pareil chef d’oeuvre!

Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine (Fr)

PARIS-MOVE, May 29th 2021

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Erol JOSUÉ – “ERZULIE” [Clip Officiel]:
https://www.youtube.com/watch?v=xg1v4cVbwtA