ERIN HARPE – Meet Me In The Middle

Vizztone
Folk-Blues
ERIN HARPE

Un temps surnommée la “Betty Boop Of The Blues”, Erin Harpe est un de ces cas typiques de dédoublement de personnalité (sur le strict plan musical s’entend). Bien qu’initialement versée dans le folk-blues, cette adepte du finger-picking s’est d’abord faite connaître (après des débuts classiques en solo dans le circuit des coffe-houses) au sein du duo électro-dance qu’elle pilotait avec son mari, Jim Countryman. C’est sous l’appellation de Lovewhip que le couple enregistra ainsi, entre 1998 et 2014, pas moins de quatre albums studios et un live, raflant même au passage en 2004 un Boston Music Awards dans ce registre festif synthétique… Mais on ne change pas les raies du zèbre, et Miss Erin commit un premier album acoustique en 2002 (“Blues Roots”), au fil duquel elle reprenait en solo Tommy Johnson et Bessie Smith ainsi que son idole, la grande Memphis Minnie. En dépit de ce manifeste explicite, elle poursuivit encore quinze ans durant l’expérience Lovewhip (dont le succès dans les clubs ne se démentait pas), tout en continuant à ranimer en parallèle l’inextinguible flamme du blues originel. Son second effort dans ce registre, “Blues Duets”, la présentait ainsi en duo avec son père, Neil (qui l’avait initiée à la guitare toute jeune, dans leur foyer de Greenbelt, Maryland). Deux ans plus tard, elle forma (toujours avec son époux) le quartet des Delta Swingers, avec le batteur Bob Nisi et l’harmoniciste Richard Rosenblatt (par ailleurs boss de Vizztone). Cette formule leur valut de remporter bientôt le Boston Blues Challenge, et de représenter la ville lors de l’édition 2011 de l’International Blues Challenge de Memphis (en quintette, avec le renfort du slide guitar player Jim Clifford). Ce band enregistra trois albums chez Vizztone de 2014 à 2018, tandis qu’Erin et son légitime se produisaient pour leur part sous le sobriquet d’Acoustic Blues Duo. Harpe s’y réservait la guitare acoustique, tandis que Countryman assurait la basse sur un ukulele grave. Exit donc les Delta Swingers pour ce nouvel album de nos Bonnie & Clyde, où Miss Erin chante, gratte les six cordes et tape du pied (tout en ne répugnant pas à emboucher à l’occasion un kazoo), tandis que Monsieur persiste à l’ukulele bass et aux backing vocals. Cet album s’ouvre sur trois originaux signés Harpe, pour aligner ensuite six adaptations, et fermer le ban sur une ultime composition de Madame. Entre blues et country, la plage titulaire évoque ainsi le “No Expectations” des Stones sur “Beggar’s Banquet”: slide et picking s’y conjuguent à merveille, de même que sur le torride (et explicite) “All Night Long” introductif. “Hard Luck Woman” sonne comme un inédit d’Ida Cox ou Ma Rainey, et les figures tutélaires d’Erin défilent ensuite. Le picking qu’elle égrène sur le malicieux “Women Be Wise” de Sippie Wallace s’agrémente ainsi d’un savoureux solo de kazoo (de même que le “Pick Poor Robin Clean” de Geeshie Wiley), tandis que le “I Hate That Train Called The M&O” de Lucille Bogan mérite dans cette version son pesant de deep Delta hanté. Le traditionnel “Rollin’ And Tumblin'” et le gospel “When I Lay My Burden Down” (tous deux dans des transcriptions à l’os) précèdent le hit de Memphis Minnie, “What’s The Matter With The Mill”, premier manifeste féministe s’il en fut (dûment repris par Muddy Waters sous l’appellation “Can’t Get No Grindin'”, ce qui suffirait en soi à réévaluer – si besoin était – l’aura du bonhomme). Il serait injuste de passer sous silence deux des principaux atouts d’Erin Harpe: par delà son indéniable habileté instrumentale, la donzelle se trouve dotée d’un timbre aussi puissant que gouailleur, et son homme lui assure un soutien rythmique sans faille. Que l’on puisse encore déguster ce genre de disque en 2020 suffirait presque à prouver l’existence de Dieu!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, October 8th 2020