Emma Rawicz – Inkyra (FR review)

ACT music group – Street date : October 31, 2025
Jazz Fusion
Emma Rawicz – Inkyra

Emma Rawicz, digne héritière de Wayne Shorter et Joe Zawinul.

Écouter le nouvel album d’Emma Rawicz, c’est entendre l’histoire et l’invention dialoguer. Les échos de Wayne Shorter et Joe Zawinul, les architectes du jazz fusion, y sont indéniables, mais ce qui en ressort n’a rien d’une imitation. Rawicz tisse au contraire des sensibilités européennes, des textures venues du monde entier et une imagination mélodique qui n’appartient qu’à elle. Elle ne se contente pas de jouer dans la tradition du jazz fusion; elle la recompose, y imprime son identité avec urgence et originalité. C’est à la fois la continuation d’un récit et le commencement d’un autre.

«En jazz, il y a toujours quelque chose à apprendre», rappelle Rawicz. Une phrase qui révèle à la fois humilité et ambition, et qui a façonné son parcours. Depuis la sortie de Chroma chez ACT en août 2023, elle s’est imposée comme l’une des musiciennes de jazz européennes les plus saluées et sollicitées de sa génération. Pour elle, le jazz n’est pas un musée mais une pratique vivante, une source d’inspiration inépuisable. «Il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir», dit-elle. «Quand on s’exerce, on peut développer tant de nouvelles choses.»

Cette énergie insatiable a autant marqué sa trajectoire publique que sa musique. Pendant la pandémie, alors que les scènes s’étaient tues, Rawicz commença à partager ses séances de travail sur Instagram. Ce qui n’était au départ qu’une documentation personnelle devint vite un lien vital pour des dizaines de milliers d’abonnés, qui suivirent en direct son évolution. Quand les salles rouvrirent, elle était prête, non seulement comme saxophoniste accomplie, mais comme artiste déjà suivie par un public grandissant.

Aujourd’hui, son agenda est sans répit: tournées à travers l’Europe, concerts dans de grandes salles, affiches de festivals prestigieux, et une écriture musicale qui ne cesse de se renouveler. Elle dirige son propre Jazz Orchestra, ambitieux laboratoire pour ses compositions, et a été choisie comme BBC New Generation Artist, une distinction réservée aux musiciens que la BBC qualifie de «nouveaux talents les plus prometteurs du monde», tous genres confondus. The Guardian a résumé la situation en une phrase: «Emma Rawicz est partie sur les chapeaux de roue, et son ascension fulgurante ne montre aucun signe de ralentissement.»

La musique elle-même échappe aux étiquettes. Par moments interrogative, presque post-industrielle; ailleurs, lyrique et expansive. Les rythmes, volontaires, soulignent l’ancrage européen de son langage tout en s’ouvrant largement à d’autres influences. Écouter Rawicz, c’est parfois comme plonger dans un roman dense et poétique: une matière exigeante, qui récompense la curiosité et persiste longtemps en mémoire.

Pour Rawicz, le public n’est pas un simple spectateur mais un partenaire. Ce nouveau répertoire fut d’abord présenté dans une petite salle londonienne, uniquement debout, devant une foule remarquablement diverse. L’expérience ne visait pas seulement à vérifier si les musiciens pouvaient en maîtriser la technique, mais surtout si l’auditoire pouvait s’en emparer, s’y laisser émouvoir, et, pourquoi pas, s’y laisser entraîner physiquement.

Une telle musique demande du temps pour mûrir. Ce projet a commencé il y a trois ans avec cet ensemble: des dizaines de répétitions, autant de concerts-tests, des pièces abandonnées, d’autres ajoutées. C’est le travail patient et minutieux d’une formation qui veut offrir à l’auditeur une expérience réellement neuve. «Nous avons travaillé très intensément sur cette musique», explique Rawicz. «Après le premier concert l’été dernier, nous avons tous investi énormément de temps, répété, développé le programme lors d’ateliers. Chacun y a laissé son empreinte.»

Ses influences sont multiples, parfois inattendues. Parmi elles: Joni Mitchell. À première vue, étonnant pour une saxophoniste de jazz. Mais Rawicz nuance: «Je me suis immergée dans sa musique avant d’écrire ce programme. Je suis fascinée par la façon dont elle structure ses mélodies, son usage de l’harmonie, ses accordages inhabituels, ses accords que l’on n’entend pas dans le jazz. Cela a influencé mon jeu au piano et façonné mon écriture. Le résultat, c’est une identité unique.» Les paroles de Mitchell ne sont pas absentes non plus: elles transparaissent dans les titres des morceaux et inspirent même le nom fantaisiste de l’album.

Ce qui en résulte est une œuvre de découverte, un album accueillant mais exigeant, qui capte vite l’auditeur et l’invite à suivre ses méandres et ses profondeurs. C’est une musique à la fois réfléchie et libre, intellectuellement rigoureuse mais émotionnellement directe. ACT, comme plusieurs labels de jazz cette année, semble inspiré dans ses choix, offrant à des artistes comme Rawicz un espace d’évolution et aux auditeurs le privilège d’en être témoins.

Emma Rawicz ne marche pas dans les pas de Shorter et Zawinul: elle avance à leurs côtés, prolongeant la route vers de nouveaux horizons. Le futur du jazz fusion, à l’évidence, a trouvé l’une de ses voix les plus captivantes.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, September 8th 2025

Follow PARIS-MOVE on X

::::::::::::::::::::::::

To buy this album

Website

 

Musicians :
Emma Rawicz, saxophone
Gareth Lockrane (opt), flutes
David Preston, Guitar
Scottie Thompson, keyboards/synths
Kevin Glasgow, electric bass
Jamie Murray, drums

Track Listing:
Anima Rising
Earthrise
Marshmallow Tree
Time and Other Thieves
Particles of Change
A Portrait of Today
Lunar
Moondrawn (Dreaming)
All My Yellow Afternoons
A Long Goodbye