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Cela fait plus de trente ans qu’il vit en France: Elliott Murphy demeure bien le plus familier de nos Américains à Paris. Comme nombre d’exilés au long cours, l’homme semble n’y avoir fait depuis que cultiver ses particularismes, au point de les ériger en valeurs cardinales. Il incarne en somme le comble de l’amateur de rock érudit: un fan devenu à son tour objet de culte. Paradoxalement, sa proximité n’a guère émoussé la fascination qu’il continue d’exercer sur une frange persistante du public européen. Oublié de longue date en sa mère-patrie (excepté de ses amis, les fidèles David Johansen, Bruce Springsteen et Garland Jeffreys, ainsi qu’Ernie Brooks et Jerry Harrison, tous deux ex-Modern Lovers), Elliott Murphy perpétue l’éternel jeu de miroirs auquel se prête sa discographie depuis ses débuts. Si sa voix préserve encore certains accents du Bowie pré-Ziggy (et quoi qu’il en admette, sa plume quelques tournures du Dylan de la seconde moitié des sixties), ses fans le savent bien: quoi qu’il fasse, Elliott ne fait que du Murphy. Et quoi qu’une carrière de plus de quatre décennies puisse bien signifier, la question s’impose néanmoins: que représente encore Elliott Murphy de nos jours? Terre de nostalgie par excellence, l’Europe ne répudie jamais ses réfugiés poétiques, et Murph the Surf y bénéficie à vie d’une inextinguible côte d’amour. Ses mémoires ici assemblées (et dont le titre emprunte celui de l’un de ses albums) retracent le parcours, mais aussi les doutes (ainsi que le deuil intime qui ne l’a jamais quitté) de ce gamin de Long Island ayant grandi dans les sixties. Les gossips (pas si abondants) et le name-dropping (l’un de ses quelques vices assumés) n’en passent pas moins sous silence quelques anecdotes. Ainsi, combien sommes nous à savoir qu’après la faillite de New Rose (et son bref passage par FNAC Music), le regretté Patrick Mathé nomma son ultime label, Last Call, en référence à une chanson d’Elliott (figurant sur “Party Girls & Broken Poets”)? Comme à ses débuts, tout dépend en la matière du bagage de ses auditeurs. Si, comme pour lui, vos héros se prénomment Bob (D), Lou (R) ou Elvis (P), et si la poésie du caniveau au matin blafard continue d’enflammer votre imagination, alors certes, Elliott Murphy en perpétue indéniablement la lignée. Et si finalement c’était tout à la fois nous et lui, sa “Lost Generation”?
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, November 18th 2020