EDDIE 9V – Little Black Flies

Ruf Records
Blues, Soul
EDDIE 9V - Little Black Flies

Dans le registre “retour de la soul par jeune Blanc interposé”, on a connu Eli “Paperboy” Reid (que devient-il, au fait?). Voici à présent Eddie 9V. Il ne s’agit pas d’une coquille typographique (ni de l’immatriculation d’une voiture), mais du pseudonyme dont s’est affublé le dénommé Brooks Mason pour exercer en paix ses activités artistiques. Né en 1996 à dix miles d’Atlanta, Georgie (berceau des regrettés Ray Charles, James Brown et Sharon Jones), le gamin reçut sa première guitare dès son sixième anniversaire. Six ans plus tard, il se joignait à son premier groupe, The Smoking Frogs (un cover band qui évolua bien vite en sa première formation blues, The Georgia Flood). C’est à la tête de cette dernière qu’il représenta dès 2013 (à 17 ans seulement) l’Atlanta Blues Society lors de l’annuel Memphis International Blues Challenge. Un premier album auto-produit en 2019 (“Left My Soul In Memphis”) l’inscrivit sur les radars, où Thomas Ruf ne tarda pas à le repérer. Alors que son coup d’essai fut pratiquement réalisé en duo avec son bassiste et co-producteur Lane Kelly, Eddie-Brooks-9V s’est cette fois octroyé les services du gratin de la scène d’Atlanta: Brandon Boone (bassiste du Tedeschi-Trucks Band), ainsi que LE guitar-slinger local en titre, Cody Matlock. Si l’on y ajoute l’harmoniciste Jackson Allen, l’organiste Chad Mason et le batteur Aaron Hambrick, on devine que la maison Ruf a sorti le carnet de chèques afin de mettre tous les atouts de son côté. Et cela saute aux tympans dès la plage titulaire d’ouverture: contrebalancée par le saxophone de Sam Nelson, la voix de cette jeune pousse de 24 ans y rappelle carrément celle d’un autre soul man blanc, le regretté Eddie Hinton! Plus étonnant encore, le même organe épouse ensuite le timbre étranglé d’Elmore James pour un “She Got Some Money” quasi-décalqué du “Dust My Broom” (et de sa multitude de dérivés). Le défilé des références se poursuit avec le jeune Buddy Guy circa “When My Left Eye Jumps”, pour un Chicago double-shuffle des plus enlevés, “Dog Me Around”. Dès ces trois premières plages, Eddie 9V démontre qu’il peut d’ores et déjà briguer quelques têtes d’affiches en clubs et festivals, mais il n’a cependant encore rien dit, puisque le lent “Don’t Come Around This House” évoque ensuite ce qu’Otis Rush accomplit à ses débuts chez Cobra. Les licks de guitare s’y épanchent en giclées turgescentes, tandis que le garnement y adopte une voix de fouine comme on n’en a plus ouï depuis que Bon Scott a avalé son extrait de naissance: plus West-Side, tu meurs en effet! Qui manque-t-il encore au tableau? Albert King ou Albert Collins? Eddie 9V vous fait les deux pour le même prix sur l’impétueux “Travelin’ Man”, tandis que l’orgue de Mason y crache le feu. Quand la soul reprend ses droits, “3AM In Chicago”, “Reach Into Your Heart” et le lubrique “Putting The Kids To Bed” évoquent la démarche d’un autre binoclard, Nick Waterhouse: tripes sur la table et soli de guitare au scalpel, sur tapis rythmique ondulatoire. Parmi les géants à saluer, Eddie rend encore hommage à Freddie King (sur le “Miss James” de Sonny Thompson), John Lee Hooker (bégaiement inclus, sur “Back On My Feet”) et Muddy Waters sur “Columbus Zoo Blues” ainsi que le final, “You Don’t Have To Go”. Avec son look de street-mob à la coule, Eddie V9 vient à point nommé nous rappeler cet adage du pavé: en cas de baston général, toujours se méfier de ceux qui portent des lunettes…

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, June 16th 2021

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Nous avons eu un Monsieur 100.000 volts en la personne de Gilbert Bécaud, et ce jeune artiste américain n’a l’ambition que de ses 9 volts. Il n’en demeure pas moins que le résultat est carrément explosif et que la valeur n’attend pas le voltage! C’est dans sa ville natale d’Atlanta qu’Eddie 9-volts a enregistré son deuxième album (Atlanta’s Echo Deco Studios). Le premier, Left My Soul In Memphis date de 2019. Il a composé tous les titres avec son frère, bassiste et producteur Lane Kelly. Trois reprises, néanmoins: “Travelin’ Man” d’Albert King, “Miss James” de Stanley J. Lewis et Sonny Thompson et “You Don’t Have To Go” de James Matcher Reed. Le héros du jour joue de la guitare solo, de la batterie et chante. En plus de son frère, il est entouré de Cody Matlock à la guitare rythmique ou à la basse, Marvin Mahanay également à la basse sur trois morceaux, Chad Mason aux claviers, orgue et Fender Rhodes, Jackson Allen à l’harmonica, et Aaron Hambrick à la batterie. De la Soul et du Blues à profusion, voilà ce que propose cette superbe galette inspirée par Albert Collins, Otis Rush ou Mike Bloomfield. Il en résulte un de ces opus magnifiques qui ne brille certes pas par son originalité mais qui est formidablement bien fait. Quand on pense que le garçon n’a que 24 ans et que l’on apprend qu’il a commencé l’apprentissage de la guitare vers 6 ans, on mesure comment les destins se façonnent différemment des deux côtés de l’Atlantique… Comme il est d’usage après de telles découvertes impressionnantes il ne nous reste plus qu’à espérer qu’un tourneur audacieux ait la présence d’esprit de lui proposer de venir propager la bonne parole sur nos terres! Mais je crains que cela ne soit encore qu’un voeu pieu!

Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine (Fr)

PARIS-MOVE, June 18th 2021