Dr. FEELGOOD – Damn Right!

Grand Records
Pub Rock
Dr. FEELGOOD - Damn Right!

Un demi-siècle après sa fondation, la saga de Dr. Feelgood pourrait se mesurer à l’aune du scénario à rallonge de la série “Dallas”. À la différence près que chez Feelgood (contrairement aux Beach Boys ou à Oasis), il n’y eut jamais personne pour endosser le rôle ingrat de JR Ewing. Alors, un nouvel album de la formation historique de Canvey Island, le mois où l’un de ses fondateurs les plus éminents vient de passer l’arme à gauche, c’est clivant, certes (comme disent les experts en sondage)… “Si la nature avait pu doter la Grande-Bretagne d’un anus, c’est probablement ici qu’elle l’aurait situé”, déclara un jour l’unanimement regretté Wilko Johnson. Et 22 ans après leur dernière livraison studio (l’honorable Chess Masters, à l’aube de ce millénaire), de quel droit ces substituts (ne comprenant de longue date plus aucun membre originel) osent-ils encore se revendiquer de l’héritage de Lee Brilleaux (disparu en avril 1994), de Wilko (décédé il y deux semaines, mais viré de son propre groupe en 1977), ainsi que de Sparko et Big Figure (vénérables retraités depuis des lustres)? C’est que Kevin Morris et Phil H. Mitchell, en lice depuis 28 ans à la rythmique, accompagnèrent Lee jusqu’à son souffle dernier (si l’on omet l’intérim de Dave Bronze, de 1992 à 1994, lequel officie ici à la production). Avec Steve Walwyn, avant-dernier spadassin à leur avoir prêté main forte aux six cordes, ils en ont dignement perpétué le flambeau auprès de Robert Kane. Walwyn, tiens, parlons-en: l’ex-guitariste des DTs de feu Steve Marriott a pulvérisé le record d’ancienneté à ce poste chez Feelgood: 32 ans de bons et loyaux services (dont cinq auprès de Lee). Aussi, quand ce valeureux stalwart dut finalement concéder que ses obligations sanitaires et familiales ne se conciliaient plus avec le rythme effréné des tournées (le véritable Never Ending Tour, ce n’est pas Dylan, mais Feelgood), ses comparses ne sont pas allés chercher bien loin son remplaçant, et contactèrent derechef son prédécesseur. Resté six ans au sein de la formation (qu’il avait du lui aussi quitter pour raisons familiales en 89), Gordon Russell avait ensuite fondé les Two Timers avec la chanteuse et percussionniste Sarah James (quatre albums entre 1995 et 2003, ainsi qu’une jolie bordée de concerts), mais n’avait jamais vraiment rompu le cordon ombilical qui le reliait aux Oil City Rockers. Ne l’avait-on pas surpris sur scène à leurs côtés, en 2009 et en 2017?  Pour son retour à bord, Gordon ne s’est pas contenté de suppléer Walwyn, mais s’est piqué en outre de co-signer une dizaine de titres originaux dans la veine immarcescible de la formation, avec l’apport du vocaliste Robert Kane pour parolier. Entre Johnny Kidd et Mick Green pour le riff (bon point, ça) et Eric Burdon pour la voix (n’oublions pas que Robert le suppléa un temps au sein de Animals II), la plage d’ouverture, “Don’t Pull Your Punches” (ne retiens pas tes coups) pourrait tout aussi bien s’adresser avec bravade aux die-hard fans qu’à la critique, tandis qu’avec sa slide entêtante, le Texas boogie  “Put The Blame On Me” n’aurait pas déparé les premiers Black Keys, tout en témoignant des progrès manifestes de Kane à l’harmonica. Il faut attendre “Put Your Money Where Your Mouth Is” pour discerner un riff quelque peu johnsonien, et guère d’imagination n’est nécessaire pour se représenter ce que ce bon Lee aurait pu éructer en pareil contexte. “Take A Second Look” et “Inside Out” ne déméritent pas non plus dans ce registre, alors qu’avec son soul-beat effréné, la plage titulaire se réfère quant à elle davantage à la période Gypie Mayo du répertoire, de même que les irrésistibles “Blues Me”  et “Keep It Under Cover” (avec sa slide en éruption façon Savoy Brown) font écho à “Mad Man Blues”. Avec un Kane confondant dans son impersonation d’un bluesman blanchi sous le harnais, “I Need A Doctor” aurait pu figurer au catalogue Antone’s (les aficionados versent une larme dans leur bourbon), et Russell y démontre une bonne part de ce qu’il a assimilé du genre. Le single “Mary Ann” est par contre à ranger au rayon du dispensable, mais l’instrumental “Last Call” (signé du seul Russell, dans la veine de Freddie King) rappellera à point nommé ce qui fit de tout temps la renommée de Feelgood sur les planches. Alors, puisqu’il semble que ce soit à ce niveau que persiste à se situer le débat, ce nouveau Feelgood, pour ou contre? Quelles que puissent demeurer les préventions des intégristes, en s’affranchissant de l’invalidante étiquette de cover band exclusif, nos Feelgoods 2022 proposent une inattendue prolongation du courant initié par leurs aînés voici un demi-siècle… Bon vent, les gars, allez en paix et “be seeing you”!

Patrick DALLONGEVILLE
(Fan exigeant depuis 45 ans)
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, December 4th 2022

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Album à commander ICI

Tracks:
Don’t Pull Your Punches
Put The Blame On Me
Put Your Money Where Your Mouth Is
Damn Right I Do
Take A Second Look
Blues Me
Keep It Undercover
I Need A Doctor
Mary Ann
Inside Out
Last Call

Et en hommage à Wilko, She Does It Right (2006 Remaster):

℗ 1975, 2006 Parlophone Records Ltd, a Warner Music Group Company

Composer: Wilko Johnson
Guitar: Wilko Johnson
Vocals: Lee Brilleaux
Bass: John B Sparks
Drums: The Big Figure
Engineer: Kingsley Ward
Engineer: Pat Moran
Producer: Vic Maile