Soul |
Bien que peu connu du grand public, Don BRYANT n’est pas pour autant le premier venu. Longtemps première plume des fameux studios Hi de Memphis, il débuta comme tant d’autres au sein de la proverbiale chorale gospel, au mitan des fifties. Son premier groupe vocal versait dans le doo-wop, avant d’être repéré par le légendaire Willie Mitchell. Ce dernier ne tarda pas à distinguer les talents de songwriter du jeune Don, dont il proposa une composition aux Five Royales. Premier carton d’une longue série, “Is There Someone Else On Your Mind” scella une collaboration au long cours entre les deux hommes, qui devait se traduire par un enchaînement de hits pour des artistes maison tels qu’Al Green, Syl Johnson et Otis Clay. Paradoxalement, malgré un premier album publié sur Hi en 1969, la carrière discographique de Don BRYANT fut longtemps éclipsée par son œuvre de compositeur dans l’ombre des studios. Tendance qui prit un tour décisif au début des seventies, quand Mitchell lui confia le destin d’une artiste débutante, Ann Peebles. Don BRYANT co-signa avec elle rien moins que le classique “I Can’t Stand The Rain” (repris ensuite par les Anglais d’Eruption, mais aussi par Tina Turner et Lowell George), avant de l’épouser. Hi finit par péricliter, Mitchell par décéder, et Peebles fut victime d’un AVC. Accaparé par la santé de son épouse et relégué dans l’obscurité, on aurait pu croire la carrière de Bryant définitivement pliée. C’eût été compter sans Boris Cyrulnik et son principe de résilience. À 74 ans tassés, tel un improbable Rocky Balboa, Don BRYANT reprend donc les gants et remonte sur le ring. Et contre toute attente, le vétéran envoie tout le monde au tapis ! Commençant par ralentir l’insurpassable classique d’O.V. Wright “A Nickel And A Nail”, Don démontre d’emblée que ses années de gospel n’ont pas été vaines. Autour de lui, la fine fleur des studios Royal donne l’illusion que Willlie Mitchell est de retour aux manettes. Les cuivres sont millimétrés et l’orgue churchy à souhait, tandis que les chœurs transpirent la moîteur des églises, et que la section rythmique accuse la lascivité caractéristique de la soul sudiste grand teint. La guitare échoit à un sournois du nom de Joe Restivo. Le genre à tricoter en retrait pour mieux tirer dans les coins, avec un portrait de Steve Cropper dans son portefeuille. Comme si le temps s’était arrêté, les classiques abondent : “It Was Jealousy”, “First You Cry” et la plage éponyme sont le genre de slows repentants dont James Carr faisait son ordinaire, tandis que le gospel “How Do I Get There ?” convertira les derniers mécréants. Don BRYANT reprend légitimement l’imparable “I Got To Know” (qu’il offrit en 1960 aux Five Royales), et retrouve les accents de Sam & Dave sur des titres enjoués tels que “Can’t Hide The Hurt”, “Something About You”, “One Ain’t Enough” ou “What Kind Of Love”.
Bon Dieu, qui aurait cru qu’on puisse encore produire ce genre de musique en 2017 ? Un petit miracle, et un grand disque de soul millésimée.
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Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
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