DIRE STRAITS – The Studio Albums 1978 -1991

Universal
Rock
DIRE STRAITS - The Studio Albums 1978 -1991

1977. Dans les faubourgs industrieux de Londres, des post-adolescents (pour la plupart démunis et en rupture de société) fomentaient l’une de ces révolutions culturelles dont les Angliches se sont de tout temps avérés friands. Sur les brisées des Ramones (passés incendier la Roundhouse en ouverture des Flamin’ Groovies quelques mois auparavant), une myriade de nouveaux groupes éclôt alors, tous mus par une idéologie do-it-yourself, en réaction à une industrie rock jugée désormais bien trop étrangère à leurs préoccupations. Contre les parvenus sur-rémunérés de l’aristocratie pop en place, ces iconoclastes prônaient dès lors un salutaire retour aux fondamentaux. Trois simples accords majeurs et un raffut approximatif leur servaient de viatiques pour s’accommoder de leurs compétences musicales limitées, et la fièvre médiatique qui en amplifia la portée ne tarda pas à alerter un music-biz toujours prompt à surfer sur les tendances, d’où qu’elles viennent. C’est paradoxalement de ce contexte insurrectionnel qu’émergèrent quatre des mastodontes les plus marquants des eighties en germe: The Cure, U2, Police et Dire Straits. Parmi ce quarteron, ces derniers n’en faisaient pas moins figure d’anomalie esthético-temporelle. Âgé de 28 ans à l’époque (et le front déjà dégarni), Mark Knopfler comptait aisément parmi les doyens de cette pseudo-nouvelle vague (aux côtés de Joe Strummer et Andy Summers, qui tentaient tous deux de taire leur âge réel en ces temps de jeunisme exacerbé). Mais surtout, alors que le nouveau dogme en vigueur privilégiait la provocation, l’énergie et le boucan au détriment de la technicité, Dire Straits explosait les charts dans un cadre radicalement à rebours de ces canons. Avec son chant influencé par Dylan (“Wild West End”, “Down To The Waterline”, “Southbound Again”, “In The Gallery”, voire même “Sultans Of Swing”) ainsi, surtout, que l’empreinte prégnante de J.J. Cale (dont les pastiches éhontés “Water Of Love”, “Setting Me Up” et “Six Blade Knife” pourraient presque passer pour des originaux, tant le mimétisme s’y révèle manifeste), le gang des frères Knopfler arborait sur son premier album éponyme une esthétique cool (laid-back, disait-on à l’époque), au service de l’implacable virtuosité de son leader sur le manche. Dès son successeur, le triomphal “Communiqué” (produit à Nassau sous l’égide des pontes Jerry Wexler et Barry Beckett, et mixé ensuite dans leur fief de Muscle Shoals, Alabama), la marque de Peter Green (alors déjà aux fraises) s’ajoutait à cette palette (“Once Upon A Time in The West”, “News”). De combien de Guitar-Player magazines la bouille de Mark Knopfler orna-t-elle les couvertures, au cours des décennies qui suivirent? Se demander à quoi aurait bien pu ressembler sa musique si les glorieux aînés aux sources desquels il puisa son style ne l’avaient précédé, équivaut à questionner les valeurs intrinsèques qui lui valurent de louer parallèlement ses services à des pointures telles que Willy De Ville, Bryan Ferry, Van Morrison, Emmylou Harris et son idole personnelle, Bob Dylan himself… Séparée au terme de quinze années triomphales, la formation (dont seuls le bassiste John Illsey et l’aîné des Knopfler demeurèrent membres permanents) s’était hissée au rang des phénomènes rock les plus lucratifs de l’histoire. Avec 140 millions d’albums écoulés, Knopfler côtoie pour la postérité des gagne-petit tels que Sting, Elton John, Pink Floyd, Phil Collins et Rod Stewart au panthéon des exilés fiscaux. Désormais bien à la peine pour réitérer de tels scores, les majors se contentent de nos jours encore d’exploiter à l’envi ce back-catalogue doré sur tranche. Après le coffret de l’intégrale Police édité l’an dernier, c’est donc le tour de Dire Straits de voir l’ensemble de sa production studio repackagée dans les mêmes boitiers. Disponible en coffret 8 LPs vinyles et en digipack 6 CDs, on n’a nulle difficulté à en présager l’impact commercial à l’approche des fêtes de fin d’année.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, September 27th 2020