DICK RIVERS, FRANCIS CABREL & LES PARSES

ROCK ‘N’ ROLL SHOW (AZTEC MUSIQUE)
Rock 'n roll
DICK RIVERS, FRANCIS CABREL & LES PARSES

Ça faisait trente ans que l’on parlait sempiternellement de cette fameuse tournée de 1990, intitulée sobrement mais explicitement “Rock’N’Roll Show”, menée de main de maître par le regretté Dick Rivers et Francis Cabrel, qui conduira les deux acolytes tels les Everly Brothers, sur les routes hexagonales pour une dizaine de dates et pour une semaine complète au Bataclan. Le Bataclan, superbe salle du boulevard Voltaire à Paris 11ème, non-loin de la rue Oberkampf, dont le nom est tiré d’une opérette d’Offenbach et tristement rendue mondialement célèbre par un funeste soir de novembre 2015. L’association de Dick Rivers et Francis Cabrel, pouvait apparaître pour certains béotiens à l’esprit cartésien et étroit, comme le mariage de la carpe et du lapin, soufflant le chaud et le froid. Le chat sauvage des premiers miaulements twist à Nice et de “Ma p’tite amie est vache” se serait-il laissé domestiquer par le système, pour une poignée de croquettes et quelques caresses dans le sens du poil, en s’acoquinant avec un “vulgaire” chanteur de “variétoche”? Que nenni! Que nenni mes amis! Que les culs-pincés et autres manichéens de l’époque (qui le sont toujours 30 piges plus tard!) se rassurent. Cette tournée qui mettra définitivement en exergue la crédibilité de Cabrel en matière de rock’n’roll, remettra bien évidemment les pendules à l’heure et les points sur les ‘i’, à défaut de poings sur les pifs… D’ailleurs, c’est Francis Cabrel himself qui remit le pied à l’étrier à Dick Rivers, pour le repropulser sur scène pratiquement à coups de pied au cul, alors que ce dernier avait jeté l’éponge en pleine gloire en 1976, en plein succès de “Maman n’aime pas ma musique” et “Faire un Pont”, en plein trip glam-rock et country-rock. Dégoûté et fatigué des organisateurs véreux, plus proches du marchand de Kronenbourg tiède que du passionné de musique(s), des groupies sous chapiteau les pieds dans la boue et le berger allemand qui veillait au grain, et des escrocs patentés qui se tiraient fissa avec la caisse dans leur Mercedes-Benz avant la fin des rappels, Dick avait abdiqué. Pour être rock’n’roll, c’est vrai que cette époque était vraiment rock’n’roll! Au total 19 ans d’absence scénique pour le chat, se consacrant exclusivement à son œuvre discographique. Dick a-t-il commis la plus grosse erreur de sa carrière? Nul ne le saura jamais et on ne va pas réécrire l’histoire, ni la légende du parrain niçois, du marlou de Montmartre. Heureusement, Cabrel croisera la route de Rivers, comme Robert Johnson croisera celle du Diable à la croisée des chemins (Crossroads), et Bernadette Soubirous celle de la Vierge Marie dans une grotte à Lourdes! Une rencontre à la base quasi improbable voire antinomique, mais qui s’avérera très vite une évidence divine, comme une lapalissade, comme un électrochoc salvateur. En effet, Francis a été biberonné dès son adolescence par la musique de Bob Dylan, Neil Young ou Léonard Cohen, sans oublier les Beatles. Il est également fan du rock’n’roll des pionniers, de Chuck Berry notamment, il est fan de blues ancestral, de Robert Johnson, de Son House, de John Lee Hooker, de Lightnin’ Hopkins, il est dingue de country music, et toutes ses influences se ressentent bien évidemment dans ses chansons. L’enfant d’Astaffort est aux antipodes du chanteur de variété basique, même si le terme chanteur de variété n’a aucune connotation péjorative sous ma modeste plume. Mais sa carte de visite, son ADN musical vont bien au-delà de ce réducteur carcan. Si Dick est le rock absolu, Francis est le plutôt le roll, son alter ego des musiques gorgées de groove et de feeling. Toute la musique qu’ils aiment, qui vient de là, qui vient du blues… Ça saute aux yeux et à nos oreilles averties, à chaque fois que Dick Rivers, lors de sa longue carrière, était en difficulté, quelque peu au creux de la vague ou malmené par des médias ingrats et disgracieux à son endroit, c’est toujours vers le rock’n’roll pur et authentique qu’il s’est retourné, comme un naufragé à la dérive qui s’accrocherait désespérément à une bouée de sauvetage. Car perdre son âme, faire des concessions, prendre place sur le radeau de la Méduse ou dans un panier de crabes, ou encore baisser son Wrangler devant les affres et autres coups bas du showbiz, n’a jamais été la marque de fabrique de la maison Rivers! Pour preuve, en pleine période baba cool, musiques planantes et éléphants roses, du psychédélisme tous azimuts, de San Francisco, de l’après Woodstock et de l’Ile de Wight, Dick a été le premier à refaire du véritable rock’n’roll, en 1971 avec “Dick ‘n’ Roll” et en 1972 avec “The Rock Machine”. Deux albums de classiques du rock totalement anachroniques, sans être des fac-similés des œuvres d’Elvis, de Jerry Lee Lewis ou d’Eddie Cochran, mais avec des orchestrations révolutionnaires assurées par le groupe de morts de faim: Labyrinthe. A croire que le rock’n’roll a toujours été reconnaissant envers ses fidèles disciples, envers ses enfants se revendiquant de sa paternité. Certes, un père pas toujours exemplaire, toujours sur le fil du rasoir, toujours sur une planche savonneuse, mais un père fidèle. La légende pouvait perdurer contre vents et marées et Rivers reprendre son bâton de pèlerin afin de prêcher inlassablement la bonne parole. Un an pratiquement après le départ de Dick, c’est un bel hommage que lui rendent Francis Cabrel et l’excellent guitariste Denys Lable. Avec ce projet qui dormait dans un tiroir depuis 30 ans, ils ressuscitent Dick Rivers. Tel le Phénix sorti de la mythologie, ils l’ont fait renaître de ses cendres. C’est un superbe coffret contenant un CD 19 titres live à Villeneuve-sur-Lot le 15/10/1990, agrémenté de 3 bonus, à savoir un duo Rivers-Cabrel “Dans le rôle du rock” et 2 titres extraits de l’audacieux concept “Autour du Blues” chapoté par l’incontournable Denys Lable, auquel participent des pointures comme Denys Lable lui-même, Patrick Verbeke, Claude Engel, Slim Batteux et Luc Bertin, Bernard Paganotti, etc… Et un DVD live au Bataclan le 6/10/1990, show enregistré avec des caméras portées. Pour cette tournée “Rock ‘N’ Roll Show” qui remettra Dick en selle et en scène, Francis et Denys avait choisi la crème des musiciens de l’époque, le nec plus ultra de la variété-rock de qualité, voire du rock’n’roll tout court, et du blues français qui n’est en rien une vulgaire plaisanterie, avec des musiciens même pas noirs et même pas nés dans le Mississippi, comme pour Verbeke immatriculé 92, n’en déplaise aux indécrottables puristes et autres ayatollahs de la musique du Diable. Les Parses venaient de naître avec Dick Rivers (voix), Francis Cabrel (voix et guitares), Denys Lable (lead guitare – slide – chœurs), Christophe Deschamps (batterie), Guy Delacroix (basse), Gilbert Bikialo (piano), Patrick Bourguoin (saxophone) et Slim Batteux (orgue Hammond B3 – chœurs). Une dream team qui tient la route! Que du beau linge! Les Parses revisitent les standards d’Elvis Presley, de Little Richard, d’Eddie Cochran, de Chuck Berry, de Ricky Nelson, de Buddy Holly et même des Everly Brothers pour le côté romantique qui colle à la voix suave de Dick. Tout s’enchaine à vitesse grand V, des standards dépoussiérés et magnifiquement interprétés et exorcisés par Dick et Francis, dont la complicité et l’osmose font des merveilles “Rip It Up”, “Roll Over Beethoven”, “Twenty Flight Rock”, “Summertime Blues” avec un couplet en français extrait de “La Fille De l’Eté Dernier” de Johnny Hallyday (Rock à Memphis de 1975), “Heartbreak Hotel”, “Johnny Be Good”, etc… avec des musicos qui assurent un maximum, sous la houlette de Denys Lable. On retrouve avec un plaisir non dissimulé, un Dick Rivers à son apogée physique et vocale, généreux, plus habité que jamais par le rock’n’roll, qui jusqu’à son dernier souffle, son ultime soubresaut, n’aura jamais trahi, intègre et droit dans ses bottes de chez Paul Bond Nogales Arizona. Ceci explique peut-être cela, à savoir une carrière qui n’a jamais été en parfaite adéquation avec son immense talent. Car l’intégrité paroxysmique, n’est hélas pas une vertu spécialement appréciée par le système. Indubitablement, Dick a dû se battre pour apparaitre sur les photos, jouer des coudes pour avoir quelques miettes du gâteau. C’est injuste, mais ça fait partie de la malédiction du rock’n’roll, de sa légende et Dick a encore plus de mérite d’avoir fait son extraordinaire carrière, sans copinage nauséabond. On retrouve également avec grand plaisir, un Francis Cabrel dans un rôle insoupçonné de chanteur de rock’n’roll, sincère et passionné. Car bien avant de tout casser avec le raz-de-marée “Je l’aime à mourir”, l’intéressé interprétait déjà des classiques de rock’n’roll, dans les bals de la région de Toulouse et même du Dick Rivers! Encore une fois et au risque de radoter ou de sombrer dans les prémices d’Alzheimer, Francis aime éperdument le rock’n’roll, le blues et la country music, qu’il interprète avec brio et conviction, et avec un accent du Lot-et-Garonne de derrière les fagots, cassoulet et confit de canard, qui donne un soupçon d’exotisme du meilleur effet et qui réchauffe le cœur et l’âme. Et puis, j’apprécie l’humilité et la simplicité de Cabrel, qui sortant d’un succès colossal avec “Sarbacane” et ses 2.000.000 d’exemplaires vendus (deux millions!), d’une tournée dantesque, aurait pu se la jouer rock-star capricieuse et imbuvable, en faire des tonnes et se tirer toutes les couvertures à lui entre narcissisme et mégalomanie, à concourir à celui qui a la plus grosse ou à celui qui pisse le plus loin… Pas du tout, Francis s’est fondu dans la masse ou plutôt dans le groupe des Parses, avec un remarquable état d’esprit, comme dans les 60’s et avec un profond respect et une amitié indéfectible pour Dick. Bref, à l’instar de Dick, la rock’n’roll attitude à tous les étages. Je manquerais singulièrement d’originalité si je vous disais que cet opus, également disponible en édition double vinyle collector, s’avère “indispensable”. Mais ce n’est pas grave, je m’y risque, car sans faire du lèche-bottes blues, cet album est époustouflant, brut de décoffrage, sans sophistication superflue, dans lequel Rivers et Cabrel redonnent au rock’n’roll toutes ses lettres de noblesse, le rock’n’roll dans sa plus pure expression. Sincères remerciements et gratitudes éternelles à Francis Cabrel, à Denys Lable (réalisation) et aux sublimes Parses, de faire en sorte que Dick ne soit pas tout-à-fait mort, de le faire encore et toujours partager notre quotidien un peu plus gris depuis le 24 avril 2019, toujours avec le cœur dans le cendrier et d’honorer sa mémoire de la plus belle des façons: Le rock’n’roll…! Tendres et amicales pensées à Babette Rivers et à Pascal Forneri.
A Dick, forever…

Serge SCIBOZ
Paris-Move

PARIS-MOVE, June 18th 2020

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Album disponible en CD et vinyle sur le site de la FNAC, ICI