Funky Jazz |
Ah, Detroit City in the sixties… Si pour le grand public, cette géolocalisation temporelle évoque tour à tour Motown, Mitch Ryder, le MC5 et les Stooges, il ne faut pas méconnaître le rôle fondamental qu’y tenait la myriade ce clubs qui y pullulaient alors. De l’avis du mogul Berry Gordy en personne, Motown n’aurait sans doute pas pu éclore et se développer sans ce perpétuel vivier où les A&R (sortes de missi dominici dépéchés par les labels) passaient éhontément repérer leurs potentiels session men. C’est ainsi que (parmi une poignée d’autres musiciens blancs comme Joe Messina), le guitariste Dennis Coffey fut admis au sein du cercle restreint des Funksters, cette équipe de requins anonymes et appointés à la séance qui officiait derrière les stars officielles de Tamla Motown. Comme Harvey Mandel à la même époque (également natif de la Motor-City, avec lequel il partageait une inclination pour le traditionnel gospel “Wade In The Water” que le Ramsey Lewis Trio avait érigé en standard), Coffey complétait ces modestes émoluments en se produisant quatre à cinq soirs par semaine dans les clubs locaux. Tout comme le Frolic, le Morey Baker’s Showplace Lounge (ou de nos jours encore, le Northern Lights ou le Locker Room), attirait une clientèle plutôt sélect (comme en attestaient les Cadillacs stationnées dans son parking privé), peu encline à s’encanailler dans les dancings environnants, mais néanmoins soucieuse de se montrer hip auprès de relations d’affaires ou de secrétaires stagiaires levées pour un soir. Nul doute que Coffey bénéficia de son exposition en ce marigot. Ce fut notamment lui qui assura la guitare lead sur le fameux “Cold Fact”, premier album du mythique Sixto Rodriguez (capté à Detroit en août 69, et qu’il co-produisit avec le claviériste Mike Theodore). Quant à Melvin Davis, c’était alors déjà un batteur à pédigrée, ayant officié plus deux ans derrière Smokey Robinson, après avoir été le premier batteur attitré des Temptations et accompagné Martha & The Vandellas. Venu du jazz, l’organiste Lyman Woodard n’était quant à lui pas manchot non plus (écoutez ce qu’il abat sur leur cover du “By The Time I Get To Phoenix” de Jimmy Webb, ou sur “The Look Of Love” de Burt Bacharach), et s’avérait alternativement capable de groover le funk (“The Big D”) et de swinguer ternaire comme une bête avec le support sur ces deux plans du remarquable Melvin Davis (cf. ici leur version du “Maiden Voyage” de Herbie Hancock). Comme Manzarek chez les Doors, Woodard compensait l’absence de basse en en jouant les parties de la main gauche sur son clavier. Imaginez une jam session entre Brian Auger et Henry Vestine, ou encore, toutes proportions gardées, ce que l’organiste Merl Saunders tenta un temps auprès de Jerry Garcia. Voire, bien plus près de nous, une version antédiluvienne du James Taylor Quartet ou Delvon Lamarr Organ Trio, où le leader ferait part égale avec son guitariste. Une jubilatoire time-capsule instrumentale de 1968, richement accompagnée d’un livret de 56 pages couleur, comprenant les interviews extensives des protagonistes ainsi que de quelques grands témoins d’époque.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, May 11th 2021