Delta R – He knows where bad girls

auroprod.
Blues

Delta R, cela aurait pu être le nom d’un tripot ou d’un juke joint paumé dans le Delta, justement, ou bien le nom d’un crossroads, pas loin de route 66, mais Delta R c’est en fait un trio helvétique qui a zappé les montagnes, les vaches et le chocolat pour un blues crade qui tache et qui vous colle aux doigts et aux enceintes.
D’ailleurs les trois lascars vous préviennent d’entrée, via le titre de l’opus, car y’en un dans le lot, c’est sûr, qui sait où se planquent les ‘bad girls’, celles qu’on croise à l’arrière de la vieille Buick ou au fond du troquet, là où l’ampoule du plafonnier ne marche plus, et depuis des lustres.

Commencez par vous envoyer ‘Someday Baby’ et vous comprendrez de suite que vous venez de rentrer dans le bouge le plus blues et le plus crade du secteur. C’est du Robert Johnson revisité par son pote le diable qui aurait appris à jouer de la six cordes, ca vous triture les tripes, vous racle la gorge et vous pique les yeux. C’est une compo signée Delta R alors qu’on aurait bien juré que vu la poussière posée dessus, cette chanson avait été sortie du fond du grenier d’un pote à Robert, justement.

D’ailleurs dix des douze titres de cet opus sont signés Delta R, complétés par une reprise bien habitée de ‘ Folsom Prison Blues’ de Johnny Cash et une version râpeuse de ‘Little Red Rooster’ de Willie Dixon. Y’a pas à dire, les trois compères de ce combo passablement crasseux savent écrire et composer autant que jouer le blues, jonglant avec les teintes les plus sales du bleu.

Et que dire de ce superbe ‘Fisher King’ dont la rythmique a des teintes de Tom Waits complètement déjanté, si ce n’est justement de la lui envoyer à lui, au Tom, la chanson suivante, cette ‘Death Letter’ qui transpire le Delta le plus diabolique et le plus marécageux. Le rythme entêtant, obsédant du morceau vous fera monter le son jusqu’à ce que vos enceintes transpirent à grosses gouttes de ce blues qui vous dévore de partout, même si au loin, y’a ‘Santa Claus’ qui se profile.

Rien à dire, nos helvètes ont le blues dans le sang et prions, au passage du crossroads, que Nicolas Roggli à la guitare et au chant, Gabriel Scotti à la basse ainsi que Jean-Pierre Mercier à la batterie ne perdent pas leur âme après pareille production, car cet opus vaut cent fois, mille fois mieux que pas mal de galettes propulsées dans les bacs par des grosses prods. Je parierai bien un billet de un dollar sur le succès de ces blueseux-là, surtout que quelques guests ont senti le sens du vent et sont venus glisser leur grain de sel ici et là, comme Richie Faret avec son harmo, Napoleon Washington et Vincent Hänni avec leurs grattes. Manque peut être aux crédits de cet opus les fantômes de Robert, Tommy et Blind Willie Johnson, car leur présence est tellement forte que vous sentez leur souffle dans votre dos tout au long de l’écoute de ces douze chansons.

Amateurs de musique bien propre sur elle, passez votre chemin car cet opus n’est pas pour vous, ou alors rentrez dans le bouge, prenez votre bibine et allez les voir, ces filles dont ils vous parlent, les trois mecs de Delta R. Et, oui, après ça, vous ferez partie de la famille!

Du blues qui n’est ni d’avant-garde ni rétro, mais furieusement dans l’air du temps, celui du Delta. R.
Excellent, tout simplement!

Frankie Bluesy Pfeiffer
Paris-Move, Blues Magazine (Fr) & Blues Matters (UK)
Delta R