Pop, Rock, Soul |
Les histoires d’amour finissent mal, en général, chantaient les Rita Mitsouko. Dans le cas de Delaney and Bonnie, ce fut presque pire, puisque la leur s’accompagnait en outre d’une belle saga d’amitié, hélas trahie. Pour faire court, le chanteur et guitariste Delaney Bramlett (natif du Mississippi) côtoyait à Tulsa dans les sixties une joyeuse bande de musiciens aussi doués que fauchés (Leon Russell, J.J. Cale, Carl Radle, ce genre). Attirés par les mirages de Hollywood, ces jeunes gens émigrèrent sur la côte Ouest californienne où ils ne tardèrent pas à trouver du travail. Pour Delaney, ce fut d’abord au sein de l’orchestre de la populaire émission télé “Shinding”. Leon Russell se joignit quant à lui au fameux Wrecking Crew, staff de requins affectés aux Gold Star Studios, où s’enregistrait une bonne part de ce que la West-Coast destinait aux charts pop, depuis les Byrds jusqu’aux Beach Boys. De son côté, la jeune Bonnie Lynn O’Farrell accompagnait en tant que choriste des artistes noirs tels qu’Albert King, Little Milton ou Ike and Tina Turner. Quand ces deux-là se trouvèrent, ce fut le proverbial coup de foudre, et à la noce furent conviés nombre de leurs amis musiciens. Ce fut donc sous l’appellation évidente de Delaney & Bonnie & Friends qu’ils enregistrèrent un premier album pour Stax, puis un second chez Elektra (alors label de Love, Tim Buckley et des Doors). Leur imparable mix de soul, de rock et de blues était alors soutenu par un casting de rêve : outre Leon Russell et Carl Radle, ils comptaient en leurs rangs le Memphisien Bobby Whitlock, les batteurs Jim Keltner et Jim Gordon, le guitariste Jerry McGee (ex-Captain Beefheart), les cuivres Jim Price et Bobby Keys, ainsi que la choriste Rita Coolidge. Classique aussi absolu qu’intemporel de la soul blanche, leur “Accept No Substitute” de 1969 leur ouvrit les portes de la gloire, qu’ils inaugurèrent en accompagnant Blind Faith, l’éphémère groupe de Clapton, Winwood et Ginger Baker, lors de son unique (et triomphale) tournée US. L’ex-lead guitar de Cream et des Yardbirds s’avéra alors tellement conquis par le climat de franche camaraderie qui régnait au sein des Friends qu’il passa le plus clair de son temps dans leur bus, délaissant à leur profit ses complices anglais (qui goûtèrent modérément la plaisanterie). Clapton appréciait tellement les Bramlett & Co qu’il les invita à poursuivre avec lui la tournée anglaise de Blind Faith, apparaissant même sur scène à leurs côtés, et y amenant à l’occasion ses propres amis (Dave Mason de Traffic, ou encore un certain Angelo Mysterioso qui n’était autre que George Harrison). Delaney Bramlett exerçait alors un tel ascendant sur Clapton que ce dernier l’engagea comme producteur et directeur musical de son tout premier album solo. Les Friends y figuraient évidemment au grand complet, et Leon Russell y contribua en signant le manifeste “Blues Power”. Tout semblait donc rouler pour le couple leader, s’il n’était la rouerie et l’ingratitude de Clapton, dont la loyauté ne fut jamais la vertu première (ne convoitait-il alors pas l’épouse de son meilleur ami ?). En guise de noyau fondateur de son nouveau projet, “Derek & The Dominoes”, ce brave Eric commença par kidnapper Carl Radle, Bobby Whitlock et Jim Gordon. Dans la foulée, Leon Russell fit sécession pour s’embarquer avec le reste des Friends dans la lucrative tournée “Mad Dogs & Englishmen” de Joe Cocker. Pour couronner le tout, les cuivres Jim Price et Bobby Keys furent débauchés par les Rolling Stones, et Bonnie ne tarit alors pas de mots fleuris à l’égard de “ces foutus rosbifs qui faisaient leur marché dans son orchestre, et la laissaient en plan”. Capitalisant sur le nom du guitar-hero, ATCO publia en juin 70 “Delaney & Bonnie & Friends On Tour With Eric Clapton”, album capté par Glyn Johns lors de leur tournée anglaise commune, et qui connut alors un conséquent succès commercial. Tout ce petit monde s’égailla ensuite pour connaître des fortunes diverses. Rita Coolidge entama une fructueuse carrière solo, de même que Leon Russell (apparaissant notamment auprès de Dylan et Harrison lors du fameux Concert For Bengla Desh). Les Dominoes enregistrèrent “Layla” et Radle demeura ensuite auprès de Clapton, de même que Bobby Keys aux côtés des Stones. Quant à Delaney et Bonnie, ils finirent par divorcer. Bonnie retourna au rôle alimentaire de choriste (notamment auprès de Little Feat et des Allman Brothers), mais sa fille Bekka reprit le flambeau maternel en tant que chanteuse respectée. Si les histoires d’amour et d’amitié finissent parfois mal, ce quadruple CD capté lors de cette funeste tournée n’en réjouira pas moins tous ceux qui n’ont jamais oublié ce couple mythique, non plus que son héritage. Outre l’intégralité du concert du 1er décembre 69 au Royal Albert Hall (d’où fut extrait le live initial), il propose trois autres gigs (au Colston Hall et au Fairfield Halls), tous aussi représentatifs d’une joie de jouer et d’une harmonie communicatives, dont une nouvelle génération semble parfois encore nostalgique.
.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
.
::::::::::::::::::::::::::::::::::
.
Il avait été réédité en 2010 sous la forme de l’album original mais voilà qu’il apparait, aujourd’hui, en coffret quadruple CDs. Alors qu’à l’origine l’album de 1970, Delaney & Bonnie & Friends – On Tour With Eric Clapton, ne comprenait que 7 titres enregistrés lors des 2 shows de Croydon et un seul titre à Londres, la livraison d’aujourd’hui est beaucoup plus fournie et vous offre quatre galettes bien remplies de titres que l’on regrettait de ne pas avoir pu entendre sur le seul CD réédité en 2010.
Pour ceux qui ne les connaitraient pas, et il y en a, surtout dans les jeunes générations, Delaney Bramlett et Bonnie Lynn O’Farrel ont eu une brève carrière, entre 1969 et 1973, mais le duo a eu le temps d’immortaliser 8 albums, certes inégaux, mais qui ont contribué à asseoir leur renommée. Une renommée pérennisée par la tournée qu’ils entreprirent en compagnie d’Éric Clapton, en 1969. Grâce à ce coffret de 4 CDs nous pouvons désormais écouter leur prestation intégrale (!!) du lundi 1er Décembre au Royal Albert Hall, des extraits de celle du mardi 2 Décembre au Colston Hall de Bristol, et des extraits des premier et second concerts qu’ils donnèrent au Fairfield Halls de Croydon le 7 Décembre. Soit 52 titres…!!!
Les “anciens” comme moi qui ont vécu ces années 60 et 70 se souviennent qu’à cette époque les concerts étaient moins longs que ceux d’aujourd’hui, et que très souvent des groupes proposaient deux concerts le même jour: un premier concert l’après-midi et un second en début de soirée, ou alors un premier concert en début de soirée et un second plus tard dans la nuit. C’est la raison pour laquelle la setlist du concert de Londres ne comprend que 17 titres, mais pas des moindres. On y trouve des compositions du duo ainsi que des reprises comme “Gimme Some Lovin‘” du Spencer Davis Group, “Things Get Better” de Steve Cropper et Eddie Floyd ou “My Baby Specializes” d’Isaac Hayes. La formation partie en tournée avec le duo Delaney & Bonnie était composée d’une pléiade d’artistes: Eric Clapton à la lead guitar, Dave Mason à la guitare, Carl Raddle à la basse, Jim Gordon à la batterie, Bobby Whitlock aux claviers, Jim Price à la trompette, Bobby Keys au saxophone, Tex Johnson aux percussions et Rita Coolidge au chant. Quand on écoute ces galettes et que l’on se remémore la carrière de tous ces musiciens, on ne peut qu’être subjugué par l’importance que prend aujourd’hui ce fantastique témoignage sonore. Un excellent travail de compilation qui consacre d’excellents concerts.
.
Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine (Fr)
.