Blues |
Basée à Calgary (Alberta), la pianiste et chanteuse canadienne Debra Power grandit dans une famille de musiciens, puisque son père dirigeait un big band. Encouragée à l’apprentissage du piano dès son plus jeune âge, elle forma son premier groupe (100% féminin) au lycée, avant de s’inscrire en musicologie à la Memorial University de Newfoundland. S’en suivirent quelques années au cours desquelles elle se produisit dans les clubs, bars et festivals de la côte est canadienne, tant en solo qu’au sein de groupes divers et variés (rock, R&B et country). Ce n’est qu’après s’être mariée (et avoir consacré le temps nécessaire à élever sa fille) qu’elle se résolut à publier un premier CD (lui aussi autoproduit) en janvier 2016 (“Even Redheads Get The Blues”). Celui-ci lui valut un succès d’estime croissant, la menant à ouvrir pour des artistes de renom et de passage (Elvin Bishop, Charlie Musselwhite). Outre ses impressionnants talents instrumentaux et vocaux, cette lady compose l’essentiel de son répertoire, et ne propose sur disque que des originaux. Cette seconde livraison de Debra Power débute par l’ébouriffant (et autobiographique) “All Night Playing The Blues”, et l’on s’y prend d’emblée une claque des plus inattendues. Le jeu de Miss Debra sur les ivoires s’y révèle en effet le plus virtuose et débridé depuis la regrettée Katie Webster! Deuxième effet kiss-cool, son timbre vocal puissant et assuré porte la marque des grandes shouteuses blues et vintage rock, ce que confirme le twist “Takin’ The High Road”, sur lequel on découvre une section de cuivres et une rythmique aussi solides que swing, ainsi que des backing singers pas piquées des vers non plus. Se concluant en mode gospel frénétique, cette seconde plage achèverait presque de nous mettre à genoux, mais le languide “Blue Tears” nous renvoie aux prémisses des great female blues singers. Soutenu par le contrepoint façon Hell’s Kitchen de la trompette de Ian David Hartley, ce piano blues classique s’inscrit en effet dans la ligne de la grande Bessie Smith. Poussé par les cuivres et la slide de Tim Williams, le shuffle de la plage titulaire suscite l’impression troublante d’entendre Duane Allman chez les Blues Brothers. Détour par New-Orleans ensuite avec le funky “Last Time I’m Loving You”, dont Debra Power partage les vocals avec le guitariste Jack Semple en un savoureux dialogue. Leur scène de ménage se prolonge sur le plan instrumental, puisque ce dernier y délivre un solo assassin, tandis que Debra semble se promener sur ce second line beat avec la même aisance que sur le reste. Soutenu au Hammond B3, le boogie “If We Haven’t Got Love” présente à la slide un certain Joey Landreth (fils de son père, le grand Sonny, et membre avec son frère bassiste, David, des bien nommés The Bros. Landreth). Miss Power nous donne ensuite un aperçu de ce qu’elle peut offrir dans le dénuement presque complet, avec le poignant “Don’t Ever Leave Me” où sa performance vocale, soutenue par une basse et une batterie discrètes (ainsi qu’un orgue en background), s’accompagne d’une partie de piano gospel défroqué digne de Ray Charles himself . Le rockin’ boogie reprend ses droits avec l’enlevé “I’m Coming Around”, sur lequel le piano en remontrerait presque à Marcia Ball en personne, tandis que la slide de Landreth y découpe une fois encore l’air en tranches épaisses. Autres novelty tunes conjugales, “My Grateful Song” et le ragtime “Please Forgive Me Blues” flirtent avec Kansas City et Julia Lee. L’heure est à la romance pour le langoureux “Let Me Love You Baby”, qui emprunte l’esprit (voire la lettre) du “Tell It Like It Is” du regretté Aaron Neville. Cet excellente rondelle se referme sur le heavy blues-rock “Side On Sue”, où la slide de Landreth et l’harmonica de Steve Pineo donnent la réplique aux vindicatives harangues de Debra envers une fille de mauvaise vie. Une artiste de premier plan, et une véritable révélation!
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, March 18th 2020