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Qui refuserait une invitation au Smalls pour écouter le David Kikoski Trio?
Probablement ni vous, ni moi. Car ce trio de stars, comme vous le savez déjà, compte parmi les plus efficaces de la scène actuelle, entraînant d’emblée l’auditeur dans une atmosphère post-bop avec des compositions non seulement du pianiste lui-même, mais aussi de Randy Brecker, et, cerise sur le gâteau, Straight No Chaser de Thelonious Monk. Autant dire que nous sommes face à un rare moment de grâce musicale.
Figure de longue date de la scène new-yorkaise, David Kikoski a prêté sa virtuosité à des formations menées par Roy Haynes, Michael et Randy Brecker, ainsi qu’au Mingus Big Band, récompensé par un Grammy en 2011 pour Live at the Jazz Standard. Enregistré dans le légendaire refuge jazz du West Village à l’automne 2024, deux soirées de concert et une session du lundi devant un public restreint, Weekend at Smalls le montre au sommet de son art, entouré du contrebassiste Joe Martin, du batteur Billy Hart et du trompettiste invité Randy Brecker.
Le Smalls est en lui-même une page d’histoire vivante. Ses murs ont absorbé des décennies de musique, portée par la quasi-totalité des grands noms du jazz américain. Kikoski en a depuis longtemps fait sa seconde maison ; il était donc presque inévitable qu’un tel album y voie le jour. Ce live, magnifiquement enregistré, place l’auditeur au cœur de l’action, au plus près de la chaleur, de la clarté et de la virtuosité de l’ensemble. Le jeu subtil et infiniment inventif de Billy Hart impressionne toujours, tandis que Randy Brecker, que j’ai eu le privilège de filmer en Europe dans les années 1990, reste l’une des voix essentielles de la trompette jazz, à l’aise dans tous les idiomes et capable d’absorber et de réinventer les multiples cultures qui s’y expriment.
La relation de Kikoski avec le Smalls est profonde. Pianiste lui-même et collègue de longue date du propriétaire Spike Wilner, il se souvient de ses premières jam-sessions dans le club, avant de devenir une figure régulière du lieu. «Spike a commencé à me proposer des concerts, ce que j’ai beaucoup apprécié,» raconte-t-il. «Beaucoup des meilleurs groupes de New York y jouaient, et j’étais heureux d’en faire partie, à la fois comme leader et comme sideman.» Tous deux partagent une proximité générationnelle et musicale, nourrie par de longues conversations autour de leurs pianistes favoris et de leurs influences communes.
Kikoski voit également dans Mezzrow, le piano-bar intime ouvert par Wilner en 2014, juste en face de Smalls, sur la Septième Avenue, le successeur spirituel du légendaire Bradley’s. «On y retrouve la même atmosphère de piano-bar,» note-t-il, «il y a parfois de la batterie, des cuivres ou une guitare, mais l’ambiance reste centrée sur le piano, comme au Bradley’s. Il n’y a plus beaucoup d’endroits comme celui-là aujourd’hui.»
Le fil reliant Kikoski à Randy Brecker remonte à 1986, lorsque le trompettiste l’invite à rejoindre le groupe pour In the Idiom, une session historique avec Joe Henderson et Al Foster. Les deux musiciens ont ensuite beaucoup tourné ensemble, notamment au sein d’un quartet de longue durée avec le saxophoniste Bob Berg.
Sur Weekend at Smalls, Kikoski revisite certaines de ses compositions. «Shadow», enregistrée pour la première fois sur son album éponyme de 1994 avec le regretté Al Foster, prend ici une nouvelle dimension. Quelques années après cette sortie, Billy Hart avait entendu le morceau à la radio et en avait enregistré sa propre version avec Chris Potter au soprano. «Je me suis dit que ce serait formidable de le refaire, et Randy ne l’avait encore jamais joué», explique Kikoski. «Les changements sont plus contemporains et plus modaux, et Randy l’interprète magnifiquement. Le sens du temps et de l’intonation de Joe est incroyable, et ce morceau met vraiment en valeur chaque membre du groupe. C’était un vrai plaisir de le rejouer avec Billy.»
On pourrait qualifier cet enregistrement d’album entre amis, et en effet, ces musiciens se connaissent par cœur, mais ce qui frappe surtout ici, c’est la manière dont ils ont su développer un langage commun qui se fond dans le jeu de Kikoski. Le résultat est une musique à la fois belle, profonde, sincère et remarquable, servie par l’architecture exigeante des compositions. Autant d’éléments qui font de Weekend at Smalls bien plus qu’un simple enregistrement live: un document historique, appelé à marquer une étape dans la grande histoire du jazz new-yorkais.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, September 4th 2025
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Musicians :
David Kikoski, piano
Randy Brecker, trumpet
Billy hart, drums
Joe Martin, bass
Track Listing :
- Winney’s Garden
- Shadow
- There’s a Mingus a Monk Us
- Presage
- Straight No Chaser
- Moontide
- Cecilia