Folk, Rock

Mais d’où sort donc cet alien? Apparemment jailli d’une faille spatio-temporelle, le tout jeune David Keenan mêle en effet ses compositions de mélismes gaéliques, au service d’une poésie et d’un souffle aussi lyriques que ceux qui animaient Jeff Buckley avant la tasse, Leonard Cohen circa “The Future”, et George Ivan Morrison avant la bedaine et la calvitie. Comment ne pas évoquer le “Grace” du regretté susnommé, quand on se prend la valse hantée de “Unholy Ghosts” et la cavalcade effrénée de “Origin Of The World” en pleine face? Et comment ne pas songer au créateur de “Suzanne” à la découverte du vertigineux “Altar Wine”, ni à celui de “Astral Weeks” lors de “Love In A Snug” et “Eastern Nights”? Pour son premier album, ce surdoué issu de Dundalk (Louth county, Ireland) infuse déjà une décennie d’épiphanies et de transcendances (fugue à Liverpool à 15 ans sur les traces de Lee Mavers, reclus fondateur des La’s, et fugace renommée via Youtube pour une vidéo captée à l’insu de son plein gré par un chauffeur de taxi en 2015). À 21 ans à peine sonnés, ce morveux arbore déjà l’âme d’un homme mûr, dont on ne trouve guère d’autre occurrence depuis… oh, merde, oui: depuis Van Morrison et un certain Robert Zimmermann, voilà. Comment, sinon, incarner avec une quelconque crédibilité ce “Good Old Days”, voire ces “Healing” et “Evidence Of Living”, qui articulent avec tant de conviction les voix d’ancient souls? Un premier album dont la plupart des newcomers ne s’approcheront sans doute jamais, et une révélation qui s’avèrera ardue à dépasser par son auteur même. Morale de cette chronique: ne jamais désespérer de l’art, ni de son avenir. Ne serait-ce qu’avec deux ou trois lascars de la trempe de ce David Keenan, la relève semble d’ores et déjà assurée pour quelques décennies encore. Un coup de maître! Faut-il vous l’emballer?

Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine (Fr)

PARIS-MOVE, December 24th 2019