DAVE RILEY & BOB CORRITORE – Travelin’ The Dirt Road

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Blues
DAVE RILEY & BOB CORRITORE - Travelin' The Dirt Road

À ne pas confondre avec l’un de ses homonymes (son cadet de onze ans décédé le soir de Noël dernier, qui fut ingénieur du son, bassiste et guitariste pour George Clinton et Sly Stone, ainsi que son propre punk band, Big Black), Dave Riley arbore un curriculum plaqué authentique et certifié par les plus rigoristes ayatollahs du blues. Né en 1949 à Hattiesburg, Mississippi, il y fit ses premiers pas sur la plantation de coton qu’y géraient ses grands-parents, tandis que ses propres géniteurs étaient partis chercher une hypothétique fortune à Chicago. Fils d’un prédicateur, il n’en développa pas moins tout jeune un intérêt pour la musique du diable, en grandissant au mitan des sixties dans les faubourgs de la Windy City. Bien que formé à l’école orthodoxe du gospel, sa proximité avec le fameux marché du dimanche matin sur Maxwell Street lui valut l’une de ses premières addictions. Enrôlé dans l’armée à peine adolescent, la guerre du Vietnam lui adjoignit en outre une propension à l’alcoolisme dont il mit 25 ans à se défaire. Chargé de famille, il n’en exerça pas moins l’emploi de maton au Joliet State Penitentiary (remember le surnom de Jake Elwood dans les Blues Brothers?). Un quart de siècle plus tard, il se produisait lors du Chicago Blues Festival, avec son propre rejeton (Dave Riley Junior) à la basse, avant qu’un accident de voiture ne lui brisât les cervicales. En Europe, on eût tôt fait de classer l’affaire au registre fataliste du “quand ça veut pas, ça veut pas”, mais pourquoi pensez-vous donc que Boris Cyrulnik se décarcasse? Après deux CDs sous son nom, et en dépit de la disparition de son sparring partner (l’harmoniciste John Weston), ce fut Bob Corritore qui vint littéralement déloger Dave Riley at home pour enregistrer ce petit bijou de downhome blues. Dans la veine du “Got My Mojo Working” de Muddy Waters, “I’m Not Your Junkman” offre à Corritore l’occasion de se prendre pour James Cotton, tandis que la plage titulaire donne l’impression d’entendre Slim Harpo adapter “Rock Me Baby” avec Wild Child Butler au soufflant. C’est irrésistible, car avec son timbre vocal éraillé (évoquant celui de Magic Slim), Dave Riley insuffle au gumbo tous les arômes de son Delta natal. Présentant les deux complices seuls au monde, le délicieux “Overalls” rappelle le duo que formèrent trente ans durant Sonny Terry et Brownie McGhee, et les 7’34 du slow “Come Here Woman” (librement inspiré du “Come On In This House” de Junior Wells) offrent à Corritore l’occasion de se lancer dans un étourdissant solo tournoyant : sans doute l’un des sommets les plus pétrifiants de cette rondelle. C’est l’apanage des musiciens inspirés que de pouvoir développer leur talent sans jamais susciter la moindre lassitude, et nos deux complices le démontrent ici à l’envi, sur “Let’s Have Some Fun Tonight” et “Way Back Home” (démarqués tous deux du “Everything’s Gonna Be Alright” de Walter Jacobs), ainsi que “My Baby’s Gone” et “Doggone Blues” (dignes de l’époustouflant “Muddy Mississippi Waters Live” en 1979), ou encore du terrassant “Voodoo Woman, Voodoo Man” (toujours bien entendu dans la veine de ces brigands de Buddy Guy et Jr. Wells). Tout en se positionnant parfois en retrait (mais le plus fréquemment en soutien, voire à l’affût), Corritore endosse ici les rôles alternatifs de bras droit et de proche lieutenant, rejoignant à ces rôles fondamentaux de grands aînés tels que Walter Jacobs, Paul Oscher, Jerry Portnoy et Walter Horton. Avec les renforts ponctuels de l’excellent pianiste Matt Bishop, ainsi que du master of Chicago beat Tom Coulson et du brillant guitariste Johnny Rapp, Dave Riley (qui avait à nouveau enrôlé son rejeton homonyme à la basse) délivrait il y a treize ans déjà dix des plages ici rééditées. Décidément, ce foutu Bob avait tout pigé: comme l’art pictural et le bon vin, le blues nécessite souvent quelques années avant que l’on puisse apprécier son millésime à sa juste valeur. Avec l’ajout de deux inédits non moins roboratifs, cette collection s’octroie désormais le statut de classique. Faut-il vous l’emballer?

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, October 22nd 2020