Americana, Blues |
D’origine native nation, la singer-songwriter canadienne D.M. Lafortune fut enlevée toute jeune à sa propre mère célibataire, pour être confiée (par l’entremise d’une “respectable” institution catholique) à un couple de Blancs stériles. Outre le traumatisme que lui causa cet arrachement, la jeune Diem découvrit ensuite qu’afin de décourager toute tentative de la retrouver, on raconta à sa génitrice que sa fille était décédée… Adolescente perturbée (on le serait à moins), Diem (comme carpe diem) ne dut le salut de sa santé mentale qu’à sa découverte de la musique, ainsi qu’à une communauté artistique qui l’accueillit avec bienveillance, et contribua à parfaire son éducation. D’abord enregistré (et publié) en 1996, cet album fut réédité une première fois en 2013 avec un nouveau mix. Cette nouvelle édition, remixed and remastered (dite “du 25ème anniversaire”), se veut enfin la version définitive de douze des pièces qui constituaient l’original (une treizième, “If They Take Us In The Morning”, était toujours en voie de complétion à l’heure de sa mise sous presse). Ce qu’elle désigne comme “The Old New World Revolutionary Rocking Ballroom Dance Band” consiste en pas moins de 25 musiciens et choristes ayant participé à ces sessions, selon diverses configurations. Et dès l’accusateur “And On The Evidence” (drivé par la slide électrique féroce de Neil Chapman), on saisit ce que la matière de cet album comporte d’intime pour son autrice. Porté par la trompette et le cor de chasse de Guy Few, le languide three-steps “Ghost Dance” et “Minuet For The Staircase Children” adoptent le même beat ternaire, mais sur le second, ce sont le piano, le violon et la mandoline qui tiennent les premiers rôles, tandis que les paroles décrivent le désarroi des enfants dans l’environnement dysfonctionnel de parents alcoolisés. Introduit par le hurlement d’un loup sur avis de tempête, “Safe And Sound” s’avère un jig appalachien expédié tambour battant par un violon et un accordéon véloces, tandis que c’est un Hammond B3 qui mène la danse sur le groovy gospel blues “Shaking The Foundation”, où l’on mesure l’ampleur des talents vocaux de Mama D (comme aime à se surnommer Diem). Avec le solo de guitare goûteux qu’y délivre le décidément irréprochable Chapman (et les chœurs harmonisés des sisters), on jurerait presque un inédit de la regrettée Janis Joplin. Adressé à son défunt père adoptif, l’acerbe “Mr. Businessman’s Blues” poursuit dans la même veine, quitte à verser davantage vers le Dylan de “Highway 61 Revisited”, par la grâce d’un Neil Chapman décidément en verve. On retrouve la trompette de Few sur le tex-mex “A Little Bird Told Me So”, dont le clavier épouse de façon saisissante le son d’un accordéon (et où les choristes s’avèrent aussi essentiels). L’intransigeant “Fear & Hunger” traite du consentement féminin, autant que de la dépendance morbide vers laquelle peuvent tendre certaines relations. On imaginerait bien la grande Marianne Faithfull reprendre ce titre, qui n’en nécessite pourtant pas tant dans sa forme originelle. Avec ses chœurs majestueux, le grandiose et désabusé “Letter From San Francisco” n’aurait pour sa part pas déparé le répertoire d’Emmylou Harris ou Loretta Lynn: décidément, Mama D se révèle douée pour distiller son spleen avec classe… Dans la veine du Dylan de “Hurricane”, “Where Are All The Children” accuse et dénonce l’oppression colonisatrice et prédatrice (on peut lire à profit sur ce thème le remarquable “Capital Et Race, Histoire d’Une Hydre Moderne” de Sylvie Laurent, aux Éditions du Seuil), et “In From The Cold” enfonce le clou en personnalisant ce réquisitoire. Mama D délègue la conclusion à un quintette de chambre délicatement cuivré, pour le bref instrumental tejano “Peggy’s Waltz”. Un authentique classic album, puissant et habité, dont on comprend aisément le soin et l’attachement qu’y porte son autrice.
“It took me 25 years before I started my first record and another 25 years to get it right. I am releasing the 25th-anniversary edition of that fabulous CD now. I feel good about it. And it means I can now move on to my next one. I probably have four more almost ready to go.” – D.M. Lafortune
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, July 22nd 2024
Follow PARIS-MOVE on X
::::::::::::::::::::::::::